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En 1770, quand les britanniques posent le pied en Australie, les Aborigènes sont ses seuls occupants. Débute alors pour eux un calvaire de deux siècles dont leur peuple va ressortir meurtri et quasiment anéanti.
Pas de troupeaux, pas de champs labourés, pas de fermes. Quand James Cook débarque à Botany Bay, en Australie, en 1770, il applique ses propres critères pour déterminer que cette terre n’appartient à personne (Terra nullius). Dans son journal, l’explorateur britannique décrit les Aborigènes – qui sont entre 300 000 et 1 million sur cet immense territoire (quatorze fois la France !) – comme une « nation errante, sans agriculture ni industrie ». Il estime donc qu’il peut légitimement prendre possession de cette terre au nom de la couronne britannique, pour laquelle il effectue une mission cartographique.
Ce que Cook n’a pas voulu voir, c’est que les Aborigènes possèdent une connaissance très avancée de la nature et ont des techniques de gestion des ressources bien différentes de celles des Européens. Ils protègent les jeunes pousses et les bébés animaux, prélèvent uniquement les quantités de nourriture qu’ils peuvent consommer. Au-delà, le lien à la terre est constitutif de leur identité : chaque lieu est sacré et porte la trace des ancêtres qui y ont vécu.
L’expansion des colons déclenchent des conflits
Le darwinisme en toile de fond
Les colons blancs s’approprient d’immenses domaines
En 1834, le peuple nyungar lutte farouchement contre l’installation de colons dans la fertile vallée du fleuve Murray. Le gouverneur James Stirling, accompagné de 11 soldats, 5 policiers et de nombreux chiens, décide d’y mettre bon ordre et attaque par surprise au petit matin. En une heure, 80 Aborigènes sont tués, soit la moitié de la tribu. Du côté des Blancs, seuls sont à déplorer un blessé et une chute de cheval. De tels massacres jalonnent l’histoire de la colonisation australienne. Face à un rapport de force aussi inégal, les Aborigènes, qui ne veulent pas quitter les sites sacrés qu’ils ont le devoir de protéger et d’honorer, sont contraints de travailler dans les ranchs.
Jusque dans les années 1960, beaucoup ne recevront pour tout salaire que de la nourriture, du tabac ou des vêtements. Des familles aborigènes se mettent aussi à l’agriculture. Mais leurs fermes sont souvent confisquées par le gouvernement ou par des colons voisins qui voient d’un très mauvais oeil l’émancipation de cette main-d’oeuvre gratuite.
1851 : la ruée vers l’or
En 1851, coup de théâtre ! De l’or est découvert en Nouvelle-Galles du Sud et dans le Victoria. L’Australie devient un eldorado. En 1860, on dénombre 1,2 million de colons. Dans le Nord-Ouest, des Blancs observent que des jeunes Aborigènes plongent et rapportent des perles. Ils décident d’exploiter cette ressource.
Des hommes de main partent capturer des enfants et adolescents dans le désert, au lasso. Dès le lever du jour, des petites embarcations les emmènent en mer. Ils vont jusqu’à 10 mètres de profondeur pour ramasser les précieuses perles. Ils risquent leur vie à chaque plongée, sont battus s’ils ne sont pas performants. La plupart ne tiennent pas deux ans, ceux qui survivent gardent des séquelles à vie. Dans tous les cas, ils ne sont pas payés.
« Assimiler la race »
Parallèlement, des milliers d’Aborigènes sont déplacés de façon autoritaire dans des missions où il leur est interdit de pratiquer leurs rites, de chasser, de se marier sans autorisation. Les viols de femmes aborigènes sont monnaie courante. Quand les Blancs voient le nombre de métis augmenter, ils décident d’enlever ceux qu’ils jugent suffisamment clairs de peau à leurs mères pour les placer dans des orphelinats ou au service de familles de colons. Il s’agit de préserver la part d’hérédité blanche, d’« assimiler la race ». De 1885 à 1967, entre 70 000 et 100 000 enfants vont subir ce terrible sort, soit entre 30 et 50% des enfants aborigènes.
Ces fonctionnaires sont convaincus d’agir pour le bien de l’enfant et d’aller dans le sens du progrès, comme l’inspecteur James Idell, qui écrit en 1905 : « L’enfant métis est intellectuellement supérieur à l’Aborigène. C’est le devoir de l’Etat de lui donner une chance d’avoir une vie meilleure que celle de sa mère. Je n’hésite pas une seconde à séparer un enfant métis de sa mère. Passé les premiers chagrins, elles oublient très vite leur progéniture » (extrait du rapport du gouvernement australien Bringing Them Home de 1997). Les enfants enlevés à leurs familles sont éduqués dans la honte de leur culture. On leur donne un nouveau nom. On leur fait croire que leurs parents ne veulent plus les voir, les ont abandonnés. Aux parents, on raconte que leur enfant refuse de les rencontrer.
Des essais nucléaires dans le désert
Dans les années 1950, au désastre humain s’ajoute le désastre écologique. Les Britanniques testent leur arme nucléaire dans le désert australien. Le 15 octobre 1953, une bombe de dix kilotonnes explose à Emu. Le nuage radioactif s’élève à 4 500 mètres d’altitude et se déplace ensuite au-dessus du continent. Des centaines d’autres essais suivront. Les Aborigènes voient maintenant leurs terres irradiées.
Un début de reconnaissance
Malgré ces décennies d’oppression, les Aborigènes ne désarment pas. Dans les années 1960, ils s’approprient les techniques du militantisme occidental pour faire entendre au monde leur principale revendication : le droit à la terre. En 1967, ils obtiennent une première grande avancée : un référendum leur accorde les mêmes droits que les autres Australiens.
En 1992, la Haute Cour reconnaît que les Aborigènes occupaient les terres avant l’arrivée des colons. La même année, le Premier ministre Paul Keating s’exprime ainsi : « C’est nous qui avons dépossédé les Aborigènes. Nous avons pris leurs terres traditionnelles et brisé leur mode de vie. Nous avons apporté un désastre. »
Chronologie :
– 40 000 Des chasseurs-cueilleurs arrivent en Australie.
Avril 1770 James Cook débarque dans le sud-est de l’île.
26 janv.1788 La couronne britannique fonde une colonie pénitentiaire dans la baie de Sydney.
1851 Ruée vers l’or. De 400000, le nombre de colons grimpe à 1,2million en 1860 et 1,6million en 1870.
1er janv. 1901 Sous le nom de Commonwealth of Australia, les colonies prennent leur indépendance par rapport au Royaume-Uni.
1967 La discrimination contre les Aborigènes dans la Constitution est abolie.
1992 Annulation du principe de Terra nullius (terre sans maître) en vigueur depuis Cook.
13 fév. 2008 Le gouvernement australien présente des excuses officielles aux peuples aborigènes.
Rares sont les opposants à la colonisation jusqu’au milieu du XXe siècle. A part les royalistes et la droite nationaliste qui préféreraient que l’armée se concentre sur sa revanche contre la Prusse, toute la classe politique chante les louanges de l’« œuvre de civilisation »…
La conquête coloniale s’inscrit dans la continuité du mouvement de « régénération » initié par la Révolution française. La nation n’a-t-elle pas d’abord civilisé par l’éducation les enfants bretons, basques et occitans? C’est maintenant au-delà de ses frontières qu’elle doit diffuser ses valeurs.
« Notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche contre la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. »
Victor Hugo, en 1841, au général Bugeaud, alors en pleine « pacification » de l’Algérie.
- Assurer l’essor économique
- La hiérarchie des races
« Le Nègre est à peu près un homme comme les autres. Mais il faudra de longues années d’effort pour qu’il arrive à valoir les peuples blancs qui se sont emparés de sa patrie. »
Un manuel scolaire de géographie de 1926.
- Favoriser la paix sociale
Traumatisées par la Commune de Paris et inquiets de l’essor du mouvement socialiste, les élites espèrent que la colonisation permettra de fédérer le peuple autour d’un projet commun.
« La colonisation en grand est une nécessité politique tout à fait de premier ordre. Une nation qui ne colonise pas est irrévocablement vouée au socialisme, à la guerre du riche et du pauvre. »
Le philosophe Ernest Renan, en 1871, dans La Réforme intellectuelle et morale de la France.
- Briller dans le concert des nations
Les hommes politiques de la fin du XIXe siècle sont convaincus de l’importance cruciale de l’entreprise coloniale pour le destin de la France alors engagée dans une compétition féroce avec les autres puissances européennes.
« Pour reprendre véritablement le rang qui lui appartient dans le monde, la France se doit de ne pas accepter le repliement sur elle-même. C’est par l’expansion, par le rayonnement dans la vie du dehors, par la place qu’on prend dans la vie générale de l’humanité que les nations persistent et qu’elles durent ».
Le républicain Léon Gambetta en 1872.
La pénétration des Européens en Afrique et en Asie (hormis les Indes) est très récente et remonte pour l'essentiel à la deuxième moitié du XIXe siècle. En Afrique subsaharienne, jusque-là, les difficultés d'accostage des navires, l'insalubrité des côtes infestées de moustiques et la pauvreté du continent les dissuadaient de s'aventurer dans l'intérieur des terres.
C'est ainsi que les conquêtes coloniales sont devenues un enjeu politique dans les années 1870. Elles suscitent dès le début de vifs débats dans les démocraties européennes, en France et en Grande-Bretagne en particulier, certains leur reprochant leur coût et d'autres y voyant un impératif national ou moral.
Les partisans de la colonisation se situaient en France plutôt à gauche de l'échiquier politique, en Angleterre plutôt à droite :
• Les « colonistes » français étaient mûs par l'ambition d'exporter les « valeurs universelles » de la Révolution, au besoin à la pointe des baïonnettes.
• Leurs homologues britanniques étaient quant à eux soucieux de consolider leurs comptoirs commerciaux et protéger leur commerce, fut-ce au prix d'une guerre comme la guerre de l'opium.
La colonisation en débat
– Apologie de la colonisation
En 1872, le Premier ministre britannique Benjamin Disraeli annonce au Crystal Palace (Londres) sa volonté de promouvoir l'empire anglais (« uphold the Empire of England », dit-il). La même année, alors que la France peine à se remettre de sa défaite dans la guerre franco-prussienne et de la perte de l'Alsace-Lorraine, le républicain de gauche Léon Gambetta lance à Angers : « Pour reprendre véritablement le rang qui lui appartient dans le monde, la France se doit de ne pas accepter le repliement sur elle-même. C'est par l'expansion, par le rayonnement dans la vie du dehors, par la place qu'on prend dans la vie générale de l'humanité que les nations persistent et qu'elles durent ; si cette vie s'arrêtait, c'en serait fait de la France ».
Ce propos trouve un écho en 1874 dans le livre à succès d'un jeune géographe de 31 ans, Paul Leroy-Beaulieu : De la colonisation chez les peuples modernes. L'auteur, qui est aussi le gendre de l'économiste saint-simonien Michel Chevalier, plaide avec passion pour la colonisation, en laquelle il croit voir l'outil de la puissance : « Un peuple qui colonise c'est un peuple qui jette les assises de sa grandeur dans l'avenir et de sa suprématie future. Toutes les forces vives de la nation colonisatrice sont accrues par ce débordement au-dehors de cette exubérante activité... »
Visionnaire comme il se doit, le poète Victor Hugo a plaidé avant quiconque pour la colonisation du monde. Dès le 21 août 1849, au Congrès de la Paix qu'il préside, il engage les Européens à unir leurs efforts pour apporter la civilisation à l'ensemble du monde, y compris l'Afrique et l'Asie : « Au lieu de se déchirer entre soi, on se répandrait pacifiquement sur l’univers ! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies ! Au lieu d’apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie ! » (note).
Il renouvelle son exhortation trente ans plus tard, joignant sa voix à celle de Gambetta : « Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l'industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité. Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites ! Faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez » (18 mai 1879). Mais à la différence du tribun ainsi que de Leroy-Beaulieu, ce n'est pas pour accroître la puissance de la nation qu'il en appelle à coloniser le reste du monde mais pour le bien des peuples colonisés eux-mêmes ! En cela il annonce déjà la « mission civilisatrice » revendiquée par Jules Ferry.
De ce moment-là, en tout cas, les États européens vont s'engager dans la « course au clocher » (dico) en Afrique et en Asie... mais sans que les citoyens s'y intéressent le moins du monde. L'Afrique noire, considérée comme une terre sans maître, fait l'objet d'un partage au cordeau à la Conférence de Berlin en 1885.
Pendant plus de deux siècles, quatre millions d’esclaves ont peuplé des terres françaises. Deux millions d’entre eux sont nés en Afrique et ont été transportés par des navires négriers dans les colonies, les deux autres millions y sont nés. Il existe des histoires de la colonisation française, des histoires de chaque colonie, des histoires générales de la traite, mais il n’existait aucune histoire de l’esclavage français, dans l’ensemble des colonies françaises (Guadeloupe, Martinique, Réunion, Guyane, Saint-Domingue…), sur toute la période coloniale. Le livre de Frédéric Régent, grâce au renouvellement de l’historiographie sur le fonctionnement des sociétés esclavagistes françaises, comble un vide et permet de répondre à de nombreuses questions : Pourquoi des Français ont-ils été amenés à devenir des esclavagistes ? Pourquoi ont-ils choisi de recourir à la traite négrière ? Comment les notions de Blancs et de Noirs ont-elles été inventées ? Quel bénéfice la France tire-t-elle de l’économie esclavagiste ? Quelles sont les limites à l’exploitation des esclaves ? Pourquoi la France rétablit-elle l’esclavage après l’avoir aboli ? Quel rôle jouent respectivement les esclaves et les abolitionnistes dans le processus d’émancipation ? Un ouvrage essentiel, au coeur d’une nouvelle approche de l’histoire de France.
La France et ses esclaves
Interview parue dans la revue Enjeux, n°199, mai 2008
(via potomitan)
La journée commémorative du souvenir de l’esclavage et de son abolition (10 mai) est une bonne occasion pour revenir sur le livre consacré à l’esclavage de Frédéric Régent qui enseigne à l’Université des Antilles et de la Guyane.
Voici un ouvrage qui présente de façon claire et efficace, en même temps avec une rare précision les acquis les plus récents de l’historiographie de la colonisation française et du fonctionnement des sociétés esclavagistes dans les colonies.
Le refus des explications simplistes, des idées reçues, n’est pas le moindre es mérites de ce travail sur un sujet fortement marqué par des enjeux de mémoire.
Refusant de verser dans le registre de l’émotion ou de l’indignation, l’auteur nous livre une analyse complète et rigoureuse, souvent subtile qui ne recule jamais devant la description de réalités sociales bien plus complexes qu’on ne le croit souvent.
Bref, une synthèse magistrale, première en son genre à embrasser ces deux siècles, des premières installations de colons au décret du 27 avril 1848, durant lesquels des terres françaises portèrent quatre millions d’esclaves. Nous remercions l’auteur d’avoir bien voulu éclairer quelques uns des aspects principaux de son livre en répondant à nos questions.
Fabrice Giovanazzi : Comment la France en vient-elle à choisir l’esclavage et à subventionner la traite négrière pour exploiter ses colonies?
Frédéric Régent: De 1628 à 1642, des marins français capturent des esclaves sur les bateaux négriers étrangers et les introduisent dans les colonies françaises. Des colons français achètent également des esclaves aux navires négriers étrangers. La traite négrière est légalisée par le roi de France Louis XIII en 1642. Hostile au départ, il se laisse convaincre par le fait que la traite négrière lui est présentée comme le meilleur moyen de christianiser les Africains. Son successeur Louis XIV encourage la traite négrière en donnant une subvention pour chaque esclave introduit dans les colonies en 1672. Le commerce des esclaves sera ainsi subventionné jusqu’en 1793. Si dans un premier temps, la monarchie française a encouragé un peuplement français des colonies, très rapidement, elle se rend compte de son échec. Les Français ont du mal à survivre car ils sont davantage victimes des maladies tropicales que les Africains. De plus, avec le développement de la production sucrière, il est plus rentable pour les propriétaires de plantation d’acheter des esclaves que de payer le voyage de serviteurs français, travaillant gratuitement pendant trois ans. La monarchie française se rend compte que la prospérité des îles passe par le développement de l’esclavage. Elle encourage donc la traite négrière, puis codifie l’esclavage avec l’Edit de mars 1685, un des textes fondamentaux du Code Noir. C’est donc la recherche du plus grand profit qui entraîne le choix de l’esclavage et de la traite négrière par la monarchie française, nonobstant toute attitude humanitariste.
Dans ton livre tu mets beaucoup l’accent sur les rapports sociaux très complexes qui s’établissent dans les sociétés coloniales…
En effet, les rapports entre maîtres et esclaves sont très complexes. L’esclavage c’est d’abord un régime de violence. Fouets, chaînes, cachots, mutilations, humiliations font partie de l’arsenal de la terreur dont disposent les maîtres pour dominer les esclaves, souvent 10 fois plus nombreux qu’eux. L’esclave est le bien mobilier de son maître qui peut le vendre, le louer, l’échanger, le donner et aussi l’affranchir. Si le maître ne possède pas le droit de vie et de mort sur son esclave, il est rarement condamné lorsqu’il le tue. L’esclave réduit à l’état de bien mobilier est tout de même baptisé. C’est donc que les maîtres lui reconnaissent une âme. L’Église enseigne la soumission des esclaves à leurs propriétaires. Les colons sont d’ailleurs tout à fait conscients de traiter inhumainement des êtres humains, mais ils considèrent que ces êtres humains sont d’une nature différente. Ce qui ne les empêche pas d’ailleurs d’avoir très fréquemment des relations sexuelles avec des femmes esclaves. Il faut préciser que les Français qui vivent dans les colonies sont dans une proportion écrasante des hommes. Entre 1635 et 1715, les départs de La Rochelle pour les colonies françaises des Antilles font état de 40 femmes sur 6.200 engagés, soit une femme pour 154 hommes. De nombreux colons fréquentent et parfois se marient avec des femmes esclaves amérindiennes, africaines, malgaches ou indiennes. En se mariant avec leur maître ces femmes et leurs enfants deviennent libres. Dans le recensement de la Réunion en 1690, 67% des couples (29 sur 43) sont composés d’un homme français et d’une femme malgache ou indienne. Même lorsqu’elles sont extraconjugales (lorsque le maître est marié avec une femme d’origine européenne fréquente des femmes de couleur), ces relations aboutissent fréquemment à des affranchissements. Certains maîtres gratifient de la liberté les esclaves dont ils ont apprécié le comportement et le travail. Ces esclaves affranchis et leurs descendants forment la catégorie des libres de couleur, eux-mêmes propriétaires d’esclaves. A la fin du XVIIIe siècle, les libres de couleur possèdent environ 20% des esclaves à Saint-Domingue et 5% en Guadeloupe. La quasi-totalité des propriétaires d’esclaves de la Réunion ont une ancestralité mêlée d’Européens, de Malgaches et d’Indiennes.
L’abolition de l’esclavage en 1848, après le précédent avorté de la Révolution française, est à mettre à l’honneur de la IIe République. Tu montres cependant que « le mouvement d’émancipation des esclaves est un processus de longue durée ». Peux-tu nous en dire plus sur ce qui y contribue ?
La première abolition de l’esclavage en 1794 est loin d’être un échec complet. En effet, sur les 600.000 esclaves (Saint-Domingue, Guadeloupe, Guyane) qui bénéficient de l’émancipation, 500.000 (ceux de Saint-Domingue) restent libres. Le rétablissement de l’esclavage est donc partiel. L’exemple de Saint-Domingue qui devient indépendant sous le nom d’Haïti en 1804 entraîne des départs d’esclaves des colonies restées françaises (Guadeloupe, Martinique) vers ce nouvel état. C’est surtout l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques appliquée à partir du 1er janvier 1834 qui va entraîner de forts mouvements de désertions d’esclaves des colonies françaises vers les îles voisines connaissant la liberté.
En France, des abolitionnistes comme Schœlcher exigent l’abolition immédiate de l’esclavage. Ils ne l’obtiennent qu’à la chute de la Monarchie de Juillet en 1848. Le 27 avril 1848, l’esclavage est aboli dans les colonies françaises. Il faut noter que par deux fois la République abolit l’esclavage, le 4 février 1794 et le 27 avril 1848. Nous pouvons nous étonner de l’écart entre la proclamation de la Première République, le 22 septembre 1792 et la première abolition, 16 mois plus tard. Ce délai s’explique par le fait que les Républicains sont au départ favorable à une abolition immédiate de la traite, mais graduelle en ce qui concerne l’esclavage. D’autre part, Saint-Domingue est alors secouée par une grande insurrection d’esclaves instrumentalisée au départ par les royalistes de l’île et Robespierre considère cette révolte comme une seconde «Vendée». Les Républicains refusent alors de récompenser par la liberté, des esclaves qu’ils croient insurgés contre eux. Lorsqu’en août 1793, l’envoyé de la République Sonthonax abolit l’esclavage à Saint-Domingue, pour rallier les esclaves, à la cause de la République ce qu’il parvient à faire, les Républicains de Paris proclament l’abolition. Le processus d’abolition est lent et combine à la fois l’action des esclaves et des philanthropes. D’ailleurs, les esclaves se nourrissent des écrits abolitionnistes pour comploter ou se révolter de la fin du XVIIIe siècle à 1848.
Alors que sur ce sujet de l’esclavage et de sa mémoire, les polémiques se sont déchaînées ces dernières années, sans toujours hésiter devant l’instrumentalisation, comment situes-tu ton travail et ta réflexion par rapport à ce débat qui a resurgi ces dernières années sur le passé esclavagiste de la France? Dans ce cadre, quel est l’intérêt du 10 mai, « journée commémorative du souvenir de l’esclavage et de son abolition »?
Je situe d’abord mon travail sur le terrain de l’histoire. Les faits historiques déplaisent toujours à ceux qui veulent les instrumentaliser. La connaissance historique évolue sans cesse, il ne peut donc y avoir de mémoire figée des événements du passé. La monarchie française a été esclavagiste. Plutôt que de parler de passé esclavagiste de la France, je préfère évoquer le passé esclavagiste de certaines élites économiques françaises que l’on peut aujourd’hui identifier. En effet, le système esclavagiste crée des entreprises de négoce à échelle internationale. Il participe au développement même de l’esprit du capitalisme au XVIIIe siècle. Il rend indispensable la consommation croissante de denrées non vitales (café, tabac, cacao) produites aux dépens du sang et de la sueur des esclaves, alors que la majorité de la population du royaume n’a pas toujours en quantité suffisante l’aliment de base qu’est le pain. Ce mode de production et de commercialisation est rentable pour quelques milliers de propriétaires de grandes habitations et quelques centaines de négociants. Des deux côtés des océans, ce système profite à des élites aux dépens des masses populaires qu’elles soient serviles, paysannes ou ouvrières. L’approvisionnement en sucre, café, tabac, denrées consommées essentiellement par les élites de la société, se fait au prix du sang et de la sueur des esclaves. Le maintien des colonies esclavagiste nécessite un puissant soutien militaire et financier, payé par le sang et les impôts du petit peuple. Ce dernier est de plus en plus écrasé d’impôts dans les campagnes, exploité dans les manufactures et enrôlés souvent de force dans l’armée ou sur les navires de guerre dans les ports. Le petit peuple du royaume de France paye le prix fort des guerres très coûteuses (guerre de Sept Ans et Guerre d’Indépendance américaine) qui permettent la conservation des colonies esclavagistes La dette publique, creusée par ces conflits, oblige bientôt le roi de France a convoqué les Etats Généraux à la fin de 1788 ce qui débouche sur la Révolution française.
Il y a donc une histoire partagée de la souffrance et de l’exploitation des masses populaires. C’est cette histoire là qui devrait être portée à la connaissance de tous et nourrir la mémoire de ce crime contre l’humanité qui n’a profité qu’à un petit nombre. Jusqu’à aujourd’hui, les commémorations du 10 mai n’ont pas été à la hauteur des enjeux historiques de l’esclavage. Jusqu’à maintenant, les représentants de l’État se sont contentés de célébrer quelques abolitionnistes et de verser une petite larme compassionnée sur le triste sort des esclaves. Il ne s’agit pas de culpabiliser l’ensemble du des Français ce qui serait historiquement faux ou de dire aux descendants d’esclaves oubliez tout, on repart sur des bases nouvelles. Ce qui est nécessaire, c’est un véritable enseignement de la question de l’esclavage dans toute sa complexité. Par ailleurs, la mémoire de l’esclavage dérange parfois, car elle constitue une condamnation sans appel d’une des premières formes de mondialisation capitaliste qu’a été le commerce triangulaire. Cette première phase de globalisation ne s’est pas développée uniquement sur les bases d’une hiérarchie raciale (les noirs=esclaves). Certes, elle a contribué au développement de stéréotypes et d’idéologies racistes, mais elle a provoqué l’enrichissement des catégories sociales aisées en Europe, en Afrique et en Amérique. Il est étonnant de constater que la traite et l’esclavage ne sont souvent questionnés que sous l’angle de la question raciale et non dans ses aspects économiques et financiers. Aujourd’hui encore, les discriminations sont bien plus souvent sociales que raciales. La discrimination raciale étant souvent le fruit de la représentation sociale que l’on se fait de l’autre.
Propos recueillis par Fabrice Giovanazzi.
Les causes de l'expansion coloniale européenne, les processus de colonisation et les résistances qu'ils rencontrent.
Comment et pourquoi, l' Europe étend-elle sa domination politique et territoriale ?
I Les motifs de l'expansion coloniale.
a) La pression démographique.
La forte croissance de la population européenne rend nécessaire l' émigration . 1 M de migrants européens au début du 20 ° s. Les colonies absorbent donc une partie de cette émigration.
b) Des motifs économiques.
Les puissances impérialistes recherchent des produits bruts agricoles et des matières premières.
Cela permet également d'écouler les surplus de production. Il s'agit de trouver des débouchés . Cf grande dépression de 1873-1896.
c) Des raisons politiques.
Volonté d' affirmer une puissance et un prestige. En France, c' est une façon de redorer le blason après la défaite face aux prussiens en 1871.
d) Les prétendue raisons morales.
Un prétexte moral Les européens se croient investis d ' une mission civilisatrice. Convaincus de la supériorité de la race blanche, ils s'attribuent
le devoir de faire progresser les races inférieures. Rudyard Kipling " Fardeau de l'homme blanc "
Il s'agit également pour les Européens d'évangéliser des peuples considérés comme primitifs.
e) Des intérêts stratégiques.
Les tensions restent fortes entre puissances européennes. Après la défaite face aux prussiens la France reste un temps isolée d'un point de vue diplomatique. Les conquêtes coloniales permettent de renforcer la puissance militaire française.
Conclusion: Les motifs de l' expansion coloniale sont nombreux .Les intérêts économiques et politiques européens sont privilégiés ;les devoirs de civilisation et d' évangélisation servent de prétexte.
f) le débat colonial en France.
Il y a en particulier vers 1880 un débat entre " colonistes " et " anticolonistes ".
Les " colonistes " sont souvent des r épublicains modérés et des r épublicains radicaux qui mettent en avant l'intérêt commercial et les motivations humanitaires. Parmi eux figurent Gambetta, Ferry. Eugène Etienne est à l'origine de la création au parlement d'un groupe qualifié de parti colonial.
Les " anticolonistes " dénoncent l'argument raciste de la colonisation, son coût financier (Clemenceau (radical), Jaurès (socialiste)). Certains considèrent que sur le plan géopolitique la priorité nationale doit être la reconquête de la ligne bleu des Vosges ( récupérer l'Alsace et la Moselle). On peut citer le nationaliste Barrès.
Jules Ferry (1832-1893): Avocat, journaliste, Jules Ferry est un républicain sincère. En 1868, il publie une célèbre brochure : Les contes fantastiques d'Haussmann. Membre du gouvernement de la Défense Nationale après le 4 septembre 1870 et maire de paris, il organise le rationnement. Devenu de ce fait impopulaire, "Ferry la Famine" doit quitter la ville au moment de la Commune en 1871. Député des Vosges à partir de 1876, il est l'un des chefs des "opportunistes" et l'un des "pères de la IIIème République". Ministre de l'Instruction Publique de 1879 à 1883, Président du Conseil de 1880 à 1881 et de 1883 à 1885, il joue en effet un rôle essentiel dans l'adoption des grandes lois républicaines, notamment en matière d'instruction. Il fait voter l'obligation, la gratuité et la laïcité de l'enseignement primaire, créée l'enseignement secondaire des jeunes filles et réorganise l'enseignement supérieur. Il engage la France dans une politique d'expansion : la Tunisie, Madagascar, le Congo, le Soudan et le Tonkin passent sous protectorat français. En 1885, il est renversé par les adversaires de sa politique coloniale à cause d'un échec en Indochine et il compte parmi ses adversaires les plus acharnés Georges Clemenceau. Surnommé "le Tonkinois", il échappe de justesse à un attentat en 1887 et il est battu aux élections de 1889 par un candidat boulangiste. Il ne peut par la suite revenir au premier plan, bien qu'il soit élu Président du Sénat en 1893.
Impérialisme : Volonté politique d 'un État d' en dominer un autre de différentes façons (impérialisme culturel, économique , militaire )
II les conquêtes coloniales .
a) 1850-1870 époque des initiatives individuelles .
colonie : territoire placé sous la souveraineté d'un autre état.
La colonisation est relativement lente. Elle est liée pour beaucoup à des initiatives isolées (explorateurs, missionnaires, commerçants )
Ex : Livingstone David, explorateur écossais , né à Blantyre ( 1313-1873 ). Missionnaire protestant, il inaugura, en 1849 une série de voyages en Afrique centrale et australe. Il recherche également les sources du Nil. C'est un adversaire décidé de l' esclavagisme.
Stanley John Rowlands : Journaliste britannique au service du New York Herald. Il fut envoyé en Afrique à la recherche de Livingstone qu'il retrouve en 1871.
Savorgnan de Brazza (1852-1905)
France : conquête de l'Algérie à partir de 1830 (prise d'Alger)
Progression en Afrique noire : Sénégal
1853 . La Nouvelle-Calédonie est annexée .
G-B : Fin de la conquête de l' Inde en 1857
Réseaux de comptoirs complété sur les côtes d` Afrique occidentale
Développement des colonies de peuplement : Canada , Australie , Nouvelle -Zélande, Afrique du Sud.
Comptoir : établissement de commerce d' une nation en pays étranger.
b)1870-1914 : La fièvre coloniale
Les conquêtes de la France et de l' Angleterre se poursuivent
E n Méditerranée Fr. Protectorat sur le Maroc et la Tunisie.
G-B Occupe l'Égypte
En Afrique : Fr. Constitution de deux ensembles. L'AOF en 1895, l'AEF en 1908.
G-B: Kenya, Soudan.
En Asie : Fr. Indochine .
De nouveaux pays entrent dans la course aux colonies.
Belgique :. Etat libre du Congo. Souverain Léopold II.
Allemagne : Implantée au Cameroun ,au Togo et au Tanganyika
Italie : Libye , elle ne parvient pas à conquérir l' Éthiopie .
Russie en Sibérie
Pays-Bas : En Indonésie
États non- Européens : E-U 1898 La victoire américaine sur l'Espagne lui permet d' annexer Puerto Rico et de
contrôler Cuba, Domination sur Hawaï ,Contrôle des Philippines
Le Japon: en 1895, la Chine est vaincue. L'île de Formose, la Corée et la Mandchourie seront ensuite annexées.
c) les limites du processus de colonisation.
Des rivalités :
Les crises entre puissances coloniales se multiplient malgré la tenue de la conférence de Berlin 1885 qui réglemente le partage de l' Afrique. Ex Fachoda. En 1898, une colonne militaire française commandée par le capitaine Marchand prend Fachoda au Soudan et refuse de céder la place au général britannique Kitchener. Les tensions sont vives. Un ultimatum Britannique oblige les français à abandonner la place. La France et le Royaume-Uni furent an bord de la déclaration de guerre.
1905 Conflit Russo-japonais : Première victoire d'une puissance non européenne.
Des résistances :
Elles sont manifestes dès la première phase de la colonisation. Le général Britannique Mac Carthy envoyé par la reine Victoria vers 1847 pour imposer sa domination sur la Gold Coast en fit les frais. Il fut décapité par les Ashanti qui contrôlaient l'or de l'Afrique de l'ouest.
Samory Touré chef malinké du Niger : 1882, première confrontation avec les français.1898, il est capturé. Déporté au Gabon , il y meurt en 1900.
Behanzin, roi du Dahomey. Attaque Cotonou en 1889.Obtient une rente annuelle de 20000 francs. Trahi , il est capturé et déporté en Algérie.
Abd el Kader ,après s'être opposé à la colonisation française en Algérie, meurt en exil à Damas en 1883.
A Madagascar, les résistances précédent la domination et perdurent après la mise en place de la tutelle française. A partir de 1895, débute la révolte des menalamba (toges rouges) qui coloraient leurs vêtements de terre rouge pour passer inaperçus. En 1913 est créé une société secrète : vy vato sakelita - fer pierre ramification (VVS). Elle à pour modèle de souveraineté et de développement le japon. La répression par Gallieni des mouvements de résistance de l’île fait entre 100 000 et 700 000 morts sur une population totale de 3 millions de personnes.
Conclusion : Les origines de la colonisation sont multiples. Elle est justifiée en Europe par des arguments économiques, démographiques, stratégiques et prétendument moraux. L'expansion coloniale est particulièrement forte à partir de 1880. Mais elle connaît tout de même des résistances et des oppositions.
Bibliographie :
Comité scientifique international pour la rédaction d’une Histoire générale de l’Afrique (Unesco), Histoire générale de l’Afrique, VII L’Afrique sous la domination coloniale, 1989
Dernière mise à jour : 03/12.
L'héritage des grandes invasions : quand les Romains ont tout changé
L’héritage des grandes invasions 3/6 - « Nos ancêtres les Gaulois... », proclamaient autrefois les livres d'histoire. Sauf que d'autres peuples ont aussi participé à la fondation de ce qui sera plus tard la France. Comme les Romains.
En 51 avant J.-C., avec la reddition du dernier bastion gaulois d'Uxellodunum, un an après la défaite d'Alésia, la Gaule n'est plus indépendante mais gallo-romaine... Une invasion qui a complètement changé, voire éradiqué, le mode de vie de nos ancêtres. Tout commence en - 58 avec Jules César et la guerre des Gaules. Sept décennies après la première implantation romaine sur le territoire de l'actuelle France, du côté de Narbonne, le conquérant joue sur les rivalités entre les différentes tribus gauloises et soumet grâce à cette tactique l'ensemble de la Gaule en six ans.
« A cette époque, la Gaule est simplement une zone géographique divisée en trois parties n'ayant aucun rapport entre elles au niveau de la langue et de la culture. Une soixantaine de petits Etats constamment en guerre les uns contre les autres font des prisonniers, qu'ils vendent comme esclaves aux Romains », explique Jean-Paul Demoule, archéologue et professeur à l'université Paris-I.
La culture gauloise disparaît
En 52 avant J.-C., les Gaulois forment cependant une grande coalition regroupant la plupart des tribus dont Vercingétorix, originaire d'Avern (l'Auvergne actuelle), est désigné chef. Mais cela ne suffit pas : les Gaulois sont vaincus. « C'est une invasion très violente, poursuit le spécialiste. On compte au moins 500 000 Gaulois morts, sur une population estimée à 10 millions de personnes, plus 500 000 emmenés en esclavage à Rome. » En quelques générations, les Gaulois perdent complètement leur culture, leur langue, leur religion, dont il ne reste quasiment aucune trace.
Un peuple de conquérants
La Gaule reste romaine jusqu'aux invasions barbares. Pendant quatre cent soixante ans, les Romains ont parfaitement intégré le territoire et sa population dans leur empire. De nouvelles structures politiques et administratives sont apparues, les routes et les paysages redessinés, les villas — de grands domaines agricoles — ont poussé comme des champignons. Une véritable « romanisation » amplifiée par le fait que les Gaulois, à commencer par leurs élites, s'appliquent plus à imiter leurs vainqueurs qu'à conserver leurs traditions.
Les esclaves sont omniprésents dans la civilisation romaine antique. Heureusement qu’il y avait des Romains plus sympas que d’autres, mais leurs conditions de vie et de travail sont le plus souvent très difficiles.
3 types d’esclaves:
-Les esclaves sont souvent des prisonniers de guerres (il fallait bien défendre son pays! Au moins ils seront esclaves pour la bonne cause on va dire).
-Un enfant d’esclave est esclave dès la naissance. (C’est pas juste, il a rien demandé lui! )
-Un citoyen romain pouvait aussi être condamné à l’esclavage. Il n’a plus de droits de citoyen… Il devient esclave en gros.
Le statut de l’esclave:
Pour les Romains, l’esclave est une « chose », il est considéré comme un objet. Si deux esclaves veulent vivre en couple (oui, ils avaient quand même le droit!), il leur faut l’autorisation de leur maître (faut pas en demander trop non plus!).
L’esclave doit obéissance à son maître (c’est le principe d’un esclave), du coup le maître en profite, et il fait faire à l’esclave toutes les tâches les plus difficiles et les plus pénibles, et bien sûr, l’esclave n’est pas payé (oui, les Romains n’ont aucune pitié!), sauf les plus chanceux mais bien sûr, cela reste très rare! Si un esclave cause des problèmes à une personne libre, le maître peut livrer l’esclave à cette personne. Mais (parce qu’il y a un mais!), si une personne libre cause des problèmes à un esclave, le maître peut exiger réparation de cette personne (heureusement qu’il y a justice dans ce monde de brutes). Il ne faut pas se fier aux rumeurs car les maîtres peuvent aussi être punis pour violence ou cruauté envers leurs esclaves!
Les métiers des esclaves:
Les esclaves effectuaient différents travaux. -Les travaux les plus pénibles, c’est-à-dire le travail à la mine, les manœuvres, les travaux agricoles (ramassage des olives, mise en culture des champs…)… Ils y laissaient souvent leur vie.
-Les esclaves pouvaient aussi être des gladiateurs mais il y avait deux types de gladiateurs. Soit ils savaient se battre grâce à un passé militaire et ils étaient choisis (eh bien tant mieux pour eux!) ; soit, au contraire, c’étaient les victimes et ils étaient désignés. Évidemment, vous vous doutez bien que leur espérance de vie était très faible.
L’esclave de la famille: le famulus
Contrairement aux préjugés, chaque famille romaine possède au moins un esclave, qu’elle soit riche ou pauvre. Il y a plusieurs sortes d’esclaves dans la famille:
-La nourrice (nutrix) qui élève les enfants.
-La servante (ancilla). Elle est assez proche de ses maîtres et aide sa maîtresse à la toilette.
-Le valet (ministrus). Il est lui aussi proche de ses maîtres et aide son maître à revêtir sa toge. En fait c’est la servante pour les hommes.
-Les domestiques cuisinent, jardinent…
Sources: https://sites.google./sitcome/civilisationromaine/la-societe-romaine/l-esclavage
Pendant un siècle, les historiens ont plutôt étudié les grandes révoltes serviles, symbolisées par Spartacus, et la dure condition des esclaves de l'Antiquité romaine. Aujourd'hui, on met l'accent sur le dynamisme économique de ces hommes qui pouvaient aussi être chefs d'entreprise ou hauts fonctionnaires... Portrait de groupe contrasté.
Qui étaient les esclaves de l'Antiquité romaine ? De la fin du XIXe siècle jusqu'aux années 1970, on s'est surtout intéressé à eux comme à des prolétaires, comme à des exploités qui ne possédaient rien. On a étudié leurs révoltes, on les a analysées comme l'indice d'une conscience de classe avant la lettre. Cette façon de traiter des esclaves était conforme à ce qu'en avait dit Karl Marx, mais on ne la rencontrait pas seulement chez les historiens marxistes, loin de là.
Les trois grandes « guerres serviles » qui ont bouleversé le monde romain entre le IIe et le Ier siècle av. J.-C. [1] ont ainsi donné matière à des développements fournis. Moses I. Finley a souligné, à juste titre, que c'étaient, et de loin, les trois révoltes d'esclaves les plus importantes de toute l'histoire du monde, avec celle de Toussaint- Louverture à Haïti, à l'époque de la Révolution française. Toutes quatre « ont atteint les dimensions d'une véritable guerre, avec plusieurs milliers d'hommes en armes des deux côtés, avec des batailles en rase campagne, des sièges et des occupations de villes » [2]. A chaque fois, ces révoltes concernaient des bergers et des agriculteurs, décidés à protester contre la dureté de leur condition, et pour cela prêts à se rassembler, à se doter d'un chef reconnu par tous, et à combattre les armes à la main.
Le nombre de ces esclaves de la campagne avait en effet beaucoup augmenté par suite des conquêtes de Rome, entre le IIIe et le Ier siècle avant Jésus-Christ. A chaque guerre, des prisonniers étaient réduits en esclavage et vendus. En outre, la supériorité de Rome était à l'origine d'une activité de traite, de commerce d'esclaves, au profit des négociants italiens et des habitants de la péninsule. Les esclaves avaient fini par constituer la main-d'oeuvre indispensable à la bonne marche de l'économie romaine, aux champs comme dans les ateliers et les mines. C'étaient les classes dangereuses, les damnés de la terre de la Grèce et du monde romain…
DES MANAGERS À LA TÊTE D'UNE BOUTIQUE OU D'UN NAVIRE
Or, depuis vingt ans environ, on n'écrit plus de la même façon l'histoire des esclaves de l'Antiquité : en quelques années, les questions posées et les centres d'intérêt se sont considérablement modifiés, quoique la documentation reste à peu près la même. On ne nie certes pas la présence des grands troupeaux d'esclaves des IIe et Ier siècles av. J.-C., et il est sûr que les trois guerres serviles ont eu lieu. Mais, désormais, on insiste davantage sur les limites du phénomène « esclavagiste ». On remarque que, dans les domaines agricoles, la main-d'oeuvre servile était mêlée à une main-d'oeuvre libre, notamment saisonnière, et que, en dehors de l'Italie péninsulaire et de la Sicile, le nombre des esclaves était sans aucun doute plus réduit. D'ailleurs, après la révolte de Spartacus, il n'y a plus eu aucune grande insurrection d'esclaves.
L'attention des historiens s'est déplacée vers un autre groupe d'esclaves, moins nombreux à coup sûr, quoique peut-être aussi important économiquement, celui des gestionnaires, qu'on appelle parfois « esclaves managers » : un esclave pouvait, à la place de son maître, exploiter une boutique ou un navire. Le maître qui possédait beaucoup d'esclaves tirait donc profit, par leur intermédiaire, de diverses entreprises, et dans des secteurs économiques qui n'étaient pas nécessairement les siens.
Un spécialiste de droit romain de l'université de Rome, Andrea Di Porto, a écrit sur ce groupe un livre très érudit, mais aux conclusions tranchées [3]. Leur existence fait, selon lui, l'originalité de la société romaine antique, et il pense qu'elle explique les plus importantes réalisations de son économie. L'activité artisanale et commerciale des esclaves a en effet permis la production de beaux objets à un prix moindre et en plus grande quantité, par exemple la céramique fine qu'on appelle l'arétine fabriquée en Toscane actuelle pendant un siècle, au tournant de notre ère, et elle a favorisé la diffusion de tels objets parmi de plus larges couches de la population.
Les préoccupations de notre époque contribuent, bien sûr, à expliquer ce changement de perspective assez brusque. Au problème social de la classe ouvrière, qui a tant dominé la fin du XIXe siècle et le début de celui-ci, a succédé une réflexion plus poussée sur l'entreprise et l'entrepreneur. Une évolution semblable s'observe en histoire des techniques : les stratégies techniques des ingénieurs et des entrepreneurs tendent à être davantage étudiées, aux dépens des savoir-faire populaires de l'ouvrier, de l'artisan ou du cultivateur.
VENDUS PAR LEUR PARENTS À DES TRAFIQUANTS
Aujourd'hui, et en essayant de ne pas trop céder aux modes du moment, tout en reconnaissant ce que la recherche leur doit, que peut-on dire de la situation des esclaves dans la Rome antique ? Et d'abord, comment devenait-on esclave ?
De bien des façons. En premier lieu, évidemment, par la guerre. Les représentations de prisonniers barbares sont fréquentes, par exemple sur les monuments de triomphe. Par le vêtement, la coiffure, les armes, éventuellement même par les traits du visage, les artistes essayèrent de rendre des types ethniques précis. Ils figuraient aussi des femmes, seules ou avec des enfants, parfois personnifications des peuplades ou provinces vaincues. Le début de l'Epidicus , une comédie de Plaute, évoque le retour de l'armée après une expédition victorieuse ; les soldats démobilisés ramènent avec eux une foule de captifs. C'est le butin.
On pouvait également devenir esclave parce qu'on avait été capturé en mer par des pirates, ou victime de razzias de trafiquants. Là-dessus aussi, les comédies de Plaute fournissent de belles histoires. Le Poenulus raconte comment ont été volés les enfants de deux frères qui étaient riches et vivaient à Carthage. L'un avait un fils, l'autre deux filles ; tous trois ont été enlevés, transportés ailleurs, et vendus comme esclaves. On devine qu'à la fin de la comédie, tout le monde retrouve tout le monde, et que ces pauvres jeunes gens sont libérés.
Enfin, il arrive tout simplement qu'un proche effectue la vente, pour toucher une somme d'argent. On entend souvent parler de parents qui vendent leurs enfants en esclavage pour échapper temporairement à la misère. Saint Augustin par exemple, au début du Ve siècle, parle dans une lettre de trafiquants qui viennent en Afrique du Nord pour se réapprovisionner. Ils achètent aux parents un certain nombre d'enfants ; en outre, ils organisent des enlèvements, et transportent ensuite dans d'autres régions, de l'autre côté de la Méditerranée, le produit de leurs achats et de leurs rapines [4].
Légalement, les citoyens romains, notamment ceux d'Italie, ne pouvaient pas être réduits en esclavage. Mais les hommes et femmes libres des autres régions de l'empire étaient menacés par ce sort peu enviable.
A quoi ces esclaves étaient-ils employés ? Les guerres serviles que nous avons évoquées n'ont été possibles que parce qu'il y avait à l'époque beaucoup d'esclaves qui cultivaient la terre et gardaient les troupeaux. En Sicile, par exemple, de grands domaines, qui appartenaient auparavant au roi de Syracuse, étaient devenus propriété de l'État romain. Rome les loua à très long terme, et pour une faible redevance, à de riches notables, les uns romains, les autres siciliens. Ceux-ci y employaient une main-d'oeuvre d'esclaves — paysans, bergers ou bûcherons.
Quelques-uns des esclaves agriculteurs recevaient un lot de terre à cultiver avec leur famille, et devaient verser au propriétaire leur maître, en général une partie des récoltes. C'est ce qu'on appelle les « esclaves-colons ». Mais ils étaient sûrement très minoritaires. Sur les terres, la plupart des esclaves étaient employés par équipes, comme les esclaves des plantations américaines. Ils n'avaient pas de famille, vivaient très durement dans des cellules, des sortes de casernes, encadrés par des esclaves contremaîtres ou par un intendant, le vilicus , qui était lui aussi un esclave, mais dirigeait le domaine au nom du maître, et devait surveiller de très près les autres esclaves.
LES ESCLAVES DOIVENT-ILS TRAVAILLER ENCHAÎNÉ
Il leur était évidemment interdit de sortir du domaine. Le soir, le vilicus veillait à ce qu'ils soient dans leurs cellules pour la nuit. Certains, particulièrement forts, et jugés dangereux, violents, étaient même enchaînés de jour comme de nuit, et logés dans des cellules spéciales, de haute sécurité, qu'on appelait les ergastules. Les auteurs des traités agronomiques latins, Caton au IIe siècle av. J.-C., Varron au siècle suivant et Columelle Ier siècle ap. J.-C., déconseillent aux propriétaires de terres de faire travailler de tels esclaves enchaînés, car ils pensent qu'il faut miser sur une certaine compétence et sur le soin attentif du propriétaire, plutôt que sur la contrainte pure et simple. Les hommes enchaînés, dit Columelle, risquent de nuire au domaine plutôt qu'ils ne le mettent en valeur.
Combien y avait-il de ces esclaves exploités, paysans, bergers, ouvriers ou mineurs ? Cela dépend de l'idée qu'on se fait du nombre total des esclaves. Peut-on connaître ce nombre ? Les Romains ne nous ont transmis aucun chiffre à son sujet, et eux-mêmes ne savaient probablement pas combien il y avait en tout d'esclaves dans leur empire. On admet en général qu'il s'en trouvait plus en Italie qu'en Afrique du Nord ou qu'en Égypte. Un historien démographe du début du siècle, Julius Beloch, a réuni les maigres indices disponibles, et, pour l'Italie, a parlé de deux millions d'esclaves sur une population totale de six millions d'habitants. Par la suite, certains sont allés jusqu'à dire que l'esclavage concernait 40 % de la population italienne. Actuellement, on a tendance à réviser ces chiffres à la baisse. De toute façon, on pense qu'en dehors de l'Italie, à l'époque romaine, le nombre des esclaves était inférieur à 20 % de la population — et peut-être de très loin.
Quoi qu'il en soit, le fait que les esclaves aient toujours été minoritaires à l'époque romaine n'empêche pas que l'esclavage ait exercé une forte influence sur l'ensemble des institutions et de la société. Dans les États du sud des États-Unis, les esclaves n'ont jamais été plus du tiers de la population, et c'était pourtant, sans nul doute, une région « esclavagiste ».
Pour ce qui est des esclaves gestionnaires, les managers, ils étaient sûrement moins nombreux que ceux des domaines agricoles ou des mines, et il est encore plus difficile d'en estimer la quantité. Car ils vivaient plus dispersés et ne formaient pas de groupes aussi massifs. Certains habitaient chez leur maître, d'autres dans leur boutique ou leur atelier, ou dans un appartement indépendant. Il leur était possible d'avoir une concubine qui, certes, n'était pas légalement leur épouse et des enfants. Ils occupaient des fonctions d'artisan, de petit commerçant, de négociant parfois. Leur maître leur permettait de gérer une entreprise, un atelier, une boutique, une banque, un bureau de prêt d'argent — entreprises en général de petite taille, mais qui pouvaient rapporter gros, et dont le profit, d'une façon ou d'une autre, était partagé entre le maître et l'esclave : souvent, quand l'esclave achetait sa liberté, c'était avec ces profits réalisés dans son entreprise, et une partie des bénéfices revenait ainsi au maître. Cependant, l'esclave une fois libéré devait subvenir à ses besoins, ainsi qu'à ceux de ses enfants et de sa femme. L'affranchissement supposait donc une transaction, dont les détails nous sont malheureusement presque totalement inconnus.
LE PÉCULE, UN PETIT CAPITAL REMIS PAR LE MAÎTRE
Pour ces esclaves gestionnaires, il existait en fait trois types de situation. Dans le premier cas, l'esclave avait une fonction de gestionnaire sous les ordres directs de son maître ; il assurait les paiements de ce dernier ou tenait sa caisse : il était dispensator , trésorier, ou arcarius , caissier, ou bien encore agissait à la place de son propriétaire dans les limites de la légalité. Ce qui lui permettait parfois de gagner de l'argent, car, parallèlement aux affaires de son maître, il pouvait aussi mener les siennes propres, et par exemple prêter de l'argent à intérêt.
Le deuxième cas est celui des esclaves préposés : une boutique ou un atelier est exploité par le maître, mais par l'intermédiaire de l'esclave, qui a reçu des instructions sur les affaires qu'il doit mener. Si le maître possédait une boutique de banque modeste banque de dépôt, qui n'a rien à voir avec nos grands établissements de crédit, il la confiait à l'un de ses esclaves, qui devait lui rendre des comptes. Un contrat précisait, pour chaque cas particulier, les termes de cette « préposition » ce que l'esclave était autorisé à faire par son maître, et le maître était responsable des agissements de l'esclave dans la limite de la préposition qu'il avait conclue avec lui.
Le texte de la préposition devait être affiché de façon visible dans la boutique ou dans l'atelier, et les clients avaient intérêt à le lire, car, s'ils concluaient avec l'esclave des affaires qui n'étaient pas incluses dans ces dispositions, ils risquaient d'y perdre de l'argent.
Le troisième cas était celui du pécule. Beaucoup d'esclaves travaillant dans le commerce, la fabrication ou la finance recevaient de leur maître un petit capital, le pécule, qui, dans une certaine mesure, leur appartenait en propre : ils n'en étaient pas juridiquement propriétaires, puisqu'ils étaient eux-mêmes propriété de leur maître. Mais on reconnaissait malgré tout une spécificité à ces biens à eux confiés. Si les esclaves faisaient faillite, le maître était responsable jusqu'à concurrence du montant du pécule. Au cas où l'esclave faisait des dettes, il n'avait à rembourser qu'un total inférieur ou égal à la valeur du pécule.
Quant à l'autonomie quotidienne et concrète dont jouissaient ces esclaves managers, elle était souvent très grande, surtout s'ils possédaient un pécule. Dans plusieurs exemples que nous connaissons ou dont parlent les textes juridiques, nous voyons que le maître n'était au courant ni du détail des affaires menées par l'esclave, ni même de la santé de son entreprise. Ainsi, l'esclave et futur pape Calliste, qui exploitait une petite banque à Rome vers la fin du IIe siècle, fit faillite sans que son maître Carpophore ait été mis au courant de ses difficultés financières.
CHÂTIMENTS CORPORELS, TORTURES ET ABUS SEXUELS
Cela posé, et étant donné le peu que nous savons des réalités auxquelles étaient confrontés les esclaves prolétaires comme gestionnaires, que pouvons-nous dire de leur état ? Nous risquons sans cesse de le concevoir de façon à la fois trop douce et trop rigoureuse. Trop douce surtout. Car nous oublions volontiers, par exemple, que les châtiments corporels étaient légalement réservés aux esclaves, ou qu'un esclave était systématiquement torturé à chaque fois qu'on l'interrogeait dans le cas d'une enquête policière. Nous négligeons aussi le fait que les esclaves des deux sexes étaient, communément et de l'aveu de tous, les jouets sexuels de leurs maîtres.
Cependant, nous ne parvenons pas à nous rendre compte que, depuis toujours, les Romains possédaient une conscience très claire de l'humanité de l'esclave. Celui-ci, certes, était une chose faisant partie du patrimoine de son maître, mais on savait très bien, en même temps, que c'était un homme ou une femme. Cette conscience ne pouvait pas ne pas avoir quelques conséquences, au moins culturelles.
D'autre part, dans le monde romain, ou du moins dans les régions où les esclaves étaient les plus nombreux, des esclaves travaillaient dans tous les secteurs de l'économie et dans tous les types d'activités. Presque toujours, ils étaient subordonnés aux hommes libres, remplissaient les fonctions d'exécutants, étaient chargés des tâches les plus ingrates. Il n'était pas rare toutefois que travail libre et travail servile coexistent dans le même secteur. Ce sont uniquement les proportions qui changeaient, en fonction du temps et du lieu. Ainsi, du IIe siècle avant J.-C. au IIe siècle ap. J.-C., les ouvriers agricoles d'Italie centrale et méridionale étaient très souvent des esclaves, comme nous l'avons dit. Au contraire, en Égypte, à toutes les époques, la plupart de ces ouvriers étaient des salariés, libres du point de vue de leur statut juridique. Les ouvriers produisant la céramique arétine étaient presque tous des esclaves ; mais il n'en était pas de même pour les céramiques du sud et du centre de la Gaule.
Si les esclaves prolétaires et managers sont difficiles à appréhender et à comptabiliser, cela est encore plus vrai pour d'autres catégories d'esclaves de la société romaine.
Pour commencer, les domestiques. Dans toute l'histoire, la fonction de domestique est celle que les esclaves remplissent le plus couramment et le plus constamment. A cet égard, l'Antiquité gréco-romaine ne fait pas exception. Dans l'ensemble des régions de l'empire, les très grandes familles possédaient des dizaines, voire des centaines de domestiques. Dans la seule ville de Rome, ceux-ci se comptaient au moins par dizaines de milliers.
Il était très rare qu'un ou une domestique fût de naissance libre. Il s'agissait soit d'esclaves, soit d'affranchis, hommes ou femmes. Par le tombeau collectif réservé aux domestiques de la maison de Livie, l'épouse d'Auguste, qui mourut elle-même en 29, nous voyons que sa domesticité se composait, pour plus de la moitié, d'esclaves et, pour le reste, d'affranchis. En 61 ap. J.-C., un des grands personnages du Sénat, le préfet de la Ville Pedanius Secundus, fut assassiné dans sa chambre à coucher par l'un de ses esclaves. On nous dit qu'à ce moment-là 400 vivaient sous son toit.
Dans les demeures aristocratiques, la spécialisation des fonctions était très poussée. Un intendant surveillait le nettoyage et l'entretien, et comptait sous ses ordres des esclaves spéciaux pour les divers appartements et la réception des hôtes. D'autres esclaves étaient chargés de veiller sur le mobilier, les meubles, les tapis, la batterie de cuisine, la vaisselle à boire et à manger, les provisions, les collections d'art, la garde-robe... D'autres encore étaient valets de chambre.
Quand le maître était invité à dîner à l'extérieur, il gardait auprès de lui, pendant le repas, un esclave qui restait debout au pied de son lit. Au retour, d'autres étaient chargés de le reconduire, et, la nuit, il fallait aussi des porteurs de torches et de lanternes. Pour se déplacer en litière, six à huit esclaves étaient nécessaires, des hommes vigoureux, souvent des Syriens ou des Cappadociens, vêtus d'une somptueuse livrée. Et comme, dans certaines maisons, chaque membre de la famille avait sa litière personnelle, le nombre de ces « lecticaires » était parfois si élevé qu'on leur préposait un chef.
ANTONIUS MUSA, AFFRANCHI ET MÉDECIN D'AUGUSTE
Évidemment, les Romains qui pouvaient profiter d'une telle domesticité n'étaient qu'une petite minorité. Bien des citoyens modestes possédaient toutefois des serviteurs esclaves, ne serait-ce qu'un ou deux. Sur beaucoup de stèles funéraires, la défunte ou le défunt est représentée accompagnée d'un serviteur ou d'une servante — le plus souvent, la servante assiste la femme à sa toilette.
Certains esclaves étaient la propriété personnelle de l'empereur. Du fait de la personnalité de leur maître, ils bénéficiaient souvent d'une situation privilégiée ils jouissaient ainsi parfois d'un certain prestige par rapport aux autres esclaves, tout en déployant eux aussi des activités très diverses, certains dans les propriétés foncières de l'empereur, ou dans ses mines, d'autres dans l'administration. Une bonne partie des « fonctionnaires » étaient alors, en effet, des esclaves. C'était par exemple le cas des employés des « bureaux palatins », qui correspondaient en gros à nos ministères.
Dans le palais de l'empereur, sur le Palatin, à Rome, Auguste, au tout début de notre ère, et ses successeurs, surtout Claude et Néron, ont mis en place une hiérarchie d'employés, en les recrutant parmi les esclaves et affranchis de leur maison. Ces bureaux impériaux étaient divisés en services, l'un chargé de la correspondance avec les administrateurs, par exemple les gouverneurs des provinces, un autre de recevoir et d'examiner les requêtes venues des sujets de Rome, les provinciaux, à titre individuel ou collectif, un autre de la gestion des finances... Les esclaves occupaient les fonctions de secrétaire, de traducteur du grec en latin, ou du latin en grec et de comptable. Les postes de responsabilité étaient tenus par des affranchis, certains devenus très puissants. Un affranchi de Claude se maria plusieurs fois richement, et la troisième fois avec une princesse juive de la famille d'Hérode ! Les sénateurs romains, souvent issus de vieilles familles, voyaient d'un très mauvais oeil ces réussites individuelles.
Dernière catégorie : ce que nous appelons les professions libérales, ainsi que les activités intellectuelles. Il y avait par exemple beaucoup d'esclaves parmi les médecins, qui remplissaient en même temps la fonction de pharmaciens : c'étaient eux, le plus souvent, qui préparaient les remèdes et les remettaient aux malades. Dans cette pratique, les Romains préféraient s'adresser à leurs esclaves ou anciens esclaves plutôt qu'aux étrangers, souvent grecs, qui exerçaient la même profession, et avaient mauvaise réputation. Caton le Censeur ne disait-il pas que les médecins grecs avaient fait serment d'assassiner les Romains ?
Lucius Domitius Ahenobarbus, un très important sénateur de l'époque des guerres civiles ier siècle av. J.-C., était soigné par l'un de ses affranchis. Antonius Musa, le célèbre médecin d'Auguste, était aussi un affranchi. Des tombes de proches de la famille impériale portent les noms d'autres esclaves médecins, par exemple Tyrannus, médecin de Livie. Au IIe siècle ap. J.-C., Apulée lui-même, qui pourtant n'était pas aussi riche, possédait, nous dit-il, « un esclave montrant en médecine une certaine compétence » .
Même chose pour les instituteurs et professeurs. Le maître élémentaire, ou litterator, était un esclave, qui instruisait à la maison les enfants du père de famille, ou bien parfois un affranchi ; certains enseignants affranchis tenaient école dans un lieu public, par exemple sous un préau ou un portique. Les enfants de Marcus Livius Salinator, consul à la fin du IIIe siècle av. J.-C., furent instruits par le poète Livius Andronicus, qui était son affranchi. Atticus, le beau-frère et ami de Cicéron, fit aussi instruire sa fille par l'un de ses affranchis.
Qui étaient les esclaves de l'Antiquité romaine ? Un groupe social nombreux, mais sûrement minoritaire, qui était employé dans tous les secteurs de la vie quotidienne. Un groupe social hétéroclite, fortement dominé, mais pas toujours pauvre, car la prospérité des esclaves dépendait de l'aisance du maître et de son bon vouloir. Un groupe mêlé à celui des hommes libres, dont il dépendait, et qu'il concurrençait, d'une certaine manière.
Rome était bien une société à esclaves. Pendant plusieurs siècles en effet des esclaves ont cultivé les terres des « villas » d'Italie, les plantations de l'époque antique. Mais ce n'est pas là la seule raison pour laquelle Rome était une société à esclaves. Elle l'était surtout parce que l'esclavage, comme institution, influait sur tous les aspects de la vie antique, économiques, juridiques ou sociaux.
20 décembre 1848 : l’abolition de l’esclavage à la Réunion
Une voie spécifique vers la « Liberté générale » ?
Les îles françaises de l’océan Indien ont connu une voie vers la Liberté générale sensiblement différente de celle suivie par les colonies américaines : la Guadeloupe, Saint-Domingue et la Guyane ont connu de 1793-1794 à 1802 l’histoire tourmentée de l’abolition révolutionnaire de l’esclavage, imposée d’abord par l’insurrection victorieuse des esclaves de Saint-Domingue commencée fin août 1791.
La Martinique n’a certes pas connu cette première abolition, mais ce fut l’occupation anglaise de l’île qui y empêcha l’application de la « loi française ». Cette première abolition de l’esclavage a été annulée en 1802 par le rétablissement imposé par Bonaparte par une violente guerre de reconquête en Guadeloupe ; mais l’échec a été total à Saint-Domingue, la colonie ayant proclamé son indépendance le 1er janvier 1804, après la capitulation des troupes françaises à Vertières le 18 novembre 1803.
Dans l’océan Indien il en fut tout autrement : la première abolition de l’esclavage, votée par la convention nationale le 16 pluviôse an II (4 février 1794), ne fut pas appliquée et l’esclavage y fut maintenu dans son intégralité pendant la période révolutionnaire. Pourtant, à la différence de la Martinique, ces îles françaises n’ont pas connu d’occupation étrangère, même si les routes maritimes de l’océan ont été presque entièrement sous contrôle des flottes britanniques. Les causes de cette non-application de la loi abolitionniste sont internes, propres au système esclavagiste de cette zone.
Tout d’abord, à la différence des Antilles, le système plantationnaire était moins généralisé : il s’est mis en place au fil des premières décennies du 18e siècle, sur des domaines de taille modeste, même si de grandes habitations se sont lentement développées. Ainsi, la concentration des terres et par conséquent des esclaves mis au travail a-t-elle été moindre [1] . Le sucre, dont la culture intensive a toujours été intrinsèquement liée à l’essor de l’esclavage de masse, a connu un essor relativement tardif au profit du café, moins « dévoreur d’hommes ». L’esclavage a certes été présent dès les premières implantations agricoles, mais son caractère massif a été beaucoup moins violent qu’aux îles d’Amérique [2] .
De cette particularité, qu’il ne faut pas idéaliser [3] , découle une autre donnée importante : l’esclavage a naturellement connu, là comme partout, de multiples formes de refus de la part des victimes, mais il n’y eut pas de révoltes de grande ampleur ni de marronnage endémique. L’insurrection de 1811 à Saint-Leu étant en quelque sorte une exception [4] , même si elle est révélatrice de tensions permanentes dans l’univers des plantations à esclaves [5] . Les résistances à la mise en esclavage se sont avant tout manifestées par des voies moins spectaculaires : maintien de pratiques culturelles issues des terres d’origine des captifs : Madagascar, l’Afrique orientale, les Comores, l’Inde. Contes, musiques, danses, pratiques religieuses plus ou moins mêlées aux rites catholiques [6] … Ainsi, une culture propre à cette société esclavagiste réunionnaise s’est elle mise en place et la non-abolition révolutionnaire de 1794 n’a pu que renforcer cette spécificité. L’absence à la Réunion du fait majeur qu’a constitué pour le monde colonial antillais l’abolition révolutionnaire suivi de l’indépendance d’Haïti a également pour conséquence que là il n’y eut pas la violence du rétablissement de l’esclavage en 1802.
Entre le début du 19e siècle et l’abolition française de 1848, le monde colonial de l’océan Indien a connu deux mutations majeures qui ont profondément marqué les pratiques esclavagistes.
D’abord ce fut l’interdiction de la traite négrière : d’abord imposée par l’Angleterre en 1807, puis étendue à toutes les puissances présentes par un Acte additionnel au Congrès de Vienne en 1815 : la Réunion, désormais seule colonie française de la région, ne pouvait ignorer cette nouvelle donne. L’importation de nouveaux esclaves ne pouvait être que « clandestine », et illégale au regard du droit international, même si elle a pu longtemps se poursuivre.
Ensuite, seconde mutation majeure, l’Angleterre prononça l’abolition de l’esclavage dans ses colonies en 1833. L’océan Indien colonial d’alors étant entièrement britannique, la Réunion restait ainsi seule terre esclavagiste dans la zone.
Ces deux données ne doivent être perdues de vue pour expliquer le processus « pacifique »de 1848. Certes les colons français de la Réunion restaient fortement attachés à la pratique de l’esclavage qu’ils considéraient comme impérieusement nécessaire au travail sur leurs plantations, mais conscients du contexte local et international, pouvaient ils, comme entre 1794 et 1802, faire obstacle à une loi d’abolition votée à Paris ? De leur côté, les esclaves n’étaient pas dans une dynamique pré-insurrectionnelle. En Martinique l’abolition a été anticipée face à une révolte d’esclaves survenue au Carbet : le décret du 27 avril était certes connu dans l’île, mais toute attente du délai de deux mois prescrit par le gouvernement risquait de précipiter l’insurrection générale tant redoutée. L’abolition effective dès le 22 mai 1848 a pu ainsi être interprétée comme une abolition imposée par la révolte et non comme une « liberté octroyée » depuis Paris.
A la Réunion le processus de « sortie » de l’esclavage est, à l’opposé, resté dans le cadre prévu par le Gouvernement provisoire.
Joseph Napoléon Sarda, dit Sarda-Garriga, a été nommé « Commissaire général de la République » pour la Réunion avec pour mission explicite de mettre en application le décret du 27 avril 1848, abolissant immédiatement l’esclavage dans toutes les colonies françaises.
Il arriva, après un long périple, dans l’île le 13 octobre. A cette date l’abolition était déjà appliquée dans les colonies américaines. Malgré les pressions des colons qui demandèrent un sursis de quelques mois, Sarda-Garriga appliqua à la lettre ses instructions : il promulgua le décret le 18 octobre, applicable deux mois plus tard, conformément aux instructions officielles. Ce délai sera scrupuleusement respecté, aucune abolition anticipée ne sera auto-proclamée sur l’île ; la mise en place d’une nouvelle législation du travail sera esquissée, prévoyant l’obligation d’un contrat de travail pour les « nouveaux libres », liant le maître et « l’engagé ». C’était prévenir les risques de désorganisation de la production, notamment sucrière, par la désertion des anciens esclaves brusquement proclamés « libres ». Déjà, en 1793 lors de la première abolition à Saint-Domingue, Sonthonax avait lui aussi prévu une forme de « travail obligatoire » pour les nouveaux libres … l’expérience avait été retenue.
Le délai de deux mois achevé, Sarda-Garriga mit en application l’abolition générale de l’esclavage le 20 décembre 1848 par une proclamation solennelle, commencée par cette phrase : « Mes amis, les décrets de la République française sont exécutés : vous êtes libres. Tous égaux devant la loi, vous n’avez autour de vous que des frères. La liberté, vous le savez, vous impose des obligations. Soyez dignes d’elle, en montrant à la France et au monde qu’elle est inséparable de l’ordre et du travail … »
Ainsi l’ordre légal fut-il respecté jusqu’au dernier moment, aucune abolition anticipée n’ayant été proclamée. Les structures profondes de la société coloniale n’avaient pas ouvert la voie à une issue insurrectionnelle.
Le tableau emblématique d ’Albert Garreau, qui était présent à la cérémonie du 20 décembre, composé en 1849, se veut le parfait reflet de cette « abolition par la loi » : Sarda-Garriga tient d’une main le texte officiel libérant les esclaves immédiatement et de l’autre main il montre les instruments de travail, soulignant que la liberté nouvelle n’était pas l’oisiveté … Face à lui, les « nouveaux libres », hommes et femmes, se prosternent en signe de reconnaissance et d’acceptation de cet acte républicain venu de Paris … Ainsi, à la Réunion, la légalité voulue par le Gouvernement provisoire issu de la Révolution parisienne de février fut-elle strictement respectée. C’était bien une « abolition octroyée » et non le fruit d’une insurrection armée. Le schéma idéalisé aux Antilles n’avait pas été suivi dans l’océan Indien.
HISTOIRE - C’est un pan de l’Histoire de France qui n’est pas enseigné au plus grand nombre, au collège ou au lycée. Vendredi 20 mai, le New York Times a publié une série d’articles qui reviennent en détail sur les indemnités réclamées à Haïti par la France en 1825, après que les esclaves ont mené une révolution pour chasser les colons et obtenir leur indépendance.
Une page historique qui s’est occasionnellement invitée dans l’actualité, notamment en 2015 au travers d’une phrase de François Hollande sur la “rançon de l’indépendance”, ou en 2004 lorsque le président haïtien d’alors, Jean-Bertrand Aristide, a été contraint à l’exil après des manœuvres franco-américaines pour empêcher que le sujet fasse les gros titres. Sauf que pour le grand public, ce récit demeure bien mystérieux.
Des pertes colossales à travers les siècles
Vendredi 20 mai donc, le prestigieux quotidien new-yorkais a mis en ligne plusieurs articles à ce propos, publiés en anglais, en français et en créole. Ils reviennent sur les origines de cette “dette” haïtienne imposée par la France, sur ses désastreuses conséquences au long cours pour le pays caribéen, sur le profit qu’en a tiré depuis le XIXe siècle la banque française CIC (qui finança notamment la construction de la tour Eiffel) ou encore sur la manière dont Paris a œuvré au fil des années pour éviter que l’affaire soit rendue (trop) publique.
Un travail fouillé et précis, dont l’accomplissement principal, se targue le New York Times, est de parvenir à la première estimation du coût réel de ces indemnités pour les Haïtiens. Car si la France exigea, en 1825, sous peine d’attaquer l’île, cinq paiements annuels de 30 millions de francs (soit déjà six fois les revenus d’Haïti à l’époque), les répercussions furent bien plus grandes.
Du fait de l’incapacité des Haïtiens à payer une telle somme, ils furent contraints de recourir à des prêts... auprès de banques françaises. Avec comme effet direct, l’ajout d’intérêts colossaux aux sommes déjà ridicules réclamées par Paris. Tant et si bien que certaines années entre 1825 et le dernier paiement en 1888, “ce sont plus de 40 % des revenus du gouvernement d’Haïti que la France accaparera.”
Ce qui fait dire au quotidien américain qu’Haïti ayant eu à payer cette double dette (les indemnités et les intérêts), le pays a été privé de dizaines de milliards de dollars au cours des siècles, et par ricochet d’effets de croissance et de développement chiffrés à 115 milliards de dollars. “Soit huit fois la taille de l’économie haïtienne en 2020”, précise le NYT, et des montants qui auraient permis au pays d’atteindre le même niveau de développement que la République dominicaine, l’autre État qui partage l’île d’Hispaniola.
Vraiment une découverte?
Voilà pour le constat. Sauf qu’au-delà de l’attention accordée à ce pan de l’Histoire par la publication de tels articles dans un journal possédant neuf millions d’abonnés, le New York Times a aussi suscité la polémique. Ainsi, depuis vendredi, nombre d’universitaires, de militants et de journalistes multiplient les reproches à l’égard du journal. Méthode scientifique qui divise, absence de certaines sources, “découverte” qui n’en est pas une... plusieurs critiques reviennent régulièrement, tout en concédant que la lumière mise sur le sujet est à saluer.
La première critique concerne le “Colombusing”, un concept américain proche de celui d’appropriation culturelle. Dérivé du nom de Christophe Colomb (Colombus en anglais), il sert à décrire les “découvertes” qui n’en sont que pour une certaine partie de la population mondiale. Avec pour point de départ l’idée que la “découverte” de l’Amérique par le navigateur génois n’en était une que pour le monde blanc et occidental, des peuples entiers vivant dans les Caraïbes et sur le continent américain depuis des siècles.
En l’occurrence, ce que disent ces premières critiques, c’est que la “double dette” d’Haïti n’est aucunement un scoop pour la population qui endure ses conséquences depuis des siècles. Et que de nombreuses publications ont déjà traité des indemnités haïtiennes sans jamais avoir le même retentissement que le New York Times, ni recevoir les mêmes louanges.
Les spécialistes du sujet oubliés?
C’est par exemple l’argument de Michael Harriot, auteur et journaliste pour le The Root, publication qui s’adresse à la communauté d’afrodescendants aux États-Unis. Dans une série de tweets, il ironise ainsi sur le fait que son magazine ait maintes fois écrit sur le sujet.
Et cet argumentaire va au-delà du journalisme, comme en ont encore fait le reproche plusieurs chercheurs et professeurs d’université, déplorant que les ressources universitaires aient été occultées des sources avancées par le Times et des experts cités dans les articles. Et cela alors que le quotidien a mis en ligne un article décrivant “ce qu’il s’est passé sous le capot” pour parvenir à l’élaboration du dossier sur Haïti.
Ainsi, alors que le New York Times assure que “seule une poignée d’universitaires a étudié dans le détail la double dette” et “qu’aucun calcul approfondi n’a été tenté, d’après les historiens, de ce que les Haïtiens ont effectivement payé”, nombreux sont ceux qui s’insurgent face à cette idée. Notamment parce que la question était abordée dans les grandes largeurs dès 1944 dans “Capitalisme et esclavage”, un ouvrage de référence écrit par Eric Williams, futur Premier ministre de Trinité-et-Tobago, ou parce que Jean-Bertrand Aristide avait lui-même avancé les mêmes montants en 2004, lorsqu’il avait été poussé à l’exil après avoir réclamé un remboursement à la France.
Difficile coopération entre journalistes et historiens
“C’est bien que le NYT publie cela. C’est important de dire ce que les Haïtiens et les historiens hurlent depuis des générations”, ironise par exemple l’essayiste kényane Nanjala Nyabola. Et Aaron Bundy, spécialiste de littérature africaine, d’ajouter: “C’est drôle de voir une équipe entière de journalistes produire une ‘série d’investigation’ pour découvrir ce qui est écrit dans n’importe quel bouquin à peu près correct sur le sujet.”
Une controverse qui, comme l’écrivent entre autres l’historien américain Paul Cohen et son confrère français Paul Chopelin, résume bien la difficile cohabitation entre journalistes et historiens. Car si les premiers cherchent à vulgariser et à apporter une dimension de nouveauté, ils se fondent nécessairement sur le travail bien plus poussé et beaucoup moins mis en avant des seconds, qui planchent pendant des années sur ces dossiers. En l’occurrence, plusieurs historiens qui ont fourni travaux et contacts aux journalistes du Times disent n’avoir jamais été cités, ni remerciés pour leur aide, et déplorent cette “invisibilisation” de leur rôle.
Car en ne pouvant être exhaustifs, les journalistes se coupent mécaniquement de la méthode scientifique, ce qui rend nécessairement leur travail critiquable par les historiens. Ici, Paul Chopelin donne un exemple de cela: “L’Histoire contrefactuelle (que serait-il arrivé si...?) est un exercice toujours utile, mais qui nécessite la plus grande rigueur”, écrit-il sur Twitter. Or “ici tous les possibles ne sont clairement pas explorés.”
Une différence de méthode de travail et de buts recherchés qui crée une distance et une défiance réciproque. Et qui a pu, dans ce cas précis, occulter la publication d’un récit qui demeure mal connu d’une vaste partie de la population.
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