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La pénétration des Européens en Afrique et en Asie (hormis les Indes) est très récente et remonte pour l'essentiel à la deuxième moitié du XIXe siècle. En Afrique subsaharienne, jusque-là, les difficultés d'accostage des navires, l'insalubrité des côtes infestées de moustiques et la pauvreté du continent les dissuadaient de s'aventurer dans l'intérieur des terres.
C'est ainsi que les conquêtes coloniales sont devenues un enjeu politique dans les années 1870. Elles suscitent dès le début de vifs débats dans les démocraties européennes, en France et en Grande-Bretagne en particulier, certains leur reprochant leur coût et d'autres y voyant un impératif national ou moral.
Les partisans de la colonisation se situaient en France plutôt à gauche de l'échiquier politique, en Angleterre plutôt à droite :
• Les « colonistes » français étaient mûs par l'ambition d'exporter les « valeurs universelles » de la Révolution, au besoin à la pointe des baïonnettes.
• Leurs homologues britanniques étaient quant à eux soucieux de consolider leurs comptoirs commerciaux et protéger leur commerce, fut-ce au prix d'une guerre comme la guerre de l'opium.
La colonisation en débat
– Apologie de la colonisation
En 1872, le Premier ministre britannique Benjamin Disraeli annonce au Crystal Palace (Londres) sa volonté de promouvoir l'empire anglais (« uphold the Empire of England », dit-il). La même année, alors que la France peine à se remettre de sa défaite dans la guerre franco-prussienne et de la perte de l'Alsace-Lorraine, le républicain de gauche Léon Gambetta lance à Angers : « Pour reprendre véritablement le rang qui lui appartient dans le monde, la France se doit de ne pas accepter le repliement sur elle-même. C'est par l'expansion, par le rayonnement dans la vie du dehors, par la place qu'on prend dans la vie générale de l'humanité que les nations persistent et qu'elles durent ; si cette vie s'arrêtait, c'en serait fait de la France ».
Ce propos trouve un écho en 1874 dans le livre à succès d'un jeune géographe de 31 ans, Paul Leroy-Beaulieu : De la colonisation chez les peuples modernes. L'auteur, qui est aussi le gendre de l'économiste saint-simonien Michel Chevalier, plaide avec passion pour la colonisation, en laquelle il croit voir l'outil de la puissance : « Un peuple qui colonise c'est un peuple qui jette les assises de sa grandeur dans l'avenir et de sa suprématie future. Toutes les forces vives de la nation colonisatrice sont accrues par ce débordement au-dehors de cette exubérante activité... »
Visionnaire comme il se doit, le poète Victor Hugo a plaidé avant quiconque pour la colonisation du monde. Dès le 21 août 1849, au Congrès de la Paix qu'il préside, il engage les Européens à unir leurs efforts pour apporter la civilisation à l'ensemble du monde, y compris l'Afrique et l'Asie : « Au lieu de se déchirer entre soi, on se répandrait pacifiquement sur l’univers ! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies ! Au lieu d’apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie ! » (note).
Il renouvelle son exhortation trente ans plus tard, joignant sa voix à celle de Gambetta : « Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l'industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité. Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites ! Faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez » (18 mai 1879). Mais à la différence du tribun ainsi que de Leroy-Beaulieu, ce n'est pas pour accroître la puissance de la nation qu'il en appelle à coloniser le reste du monde mais pour le bien des peuples colonisés eux-mêmes ! En cela il annonce déjà la « mission civilisatrice » revendiquée par Jules Ferry.
De ce moment-là, en tout cas, les États européens vont s'engager dans la « course au clocher » (dico) en Afrique et en Asie... mais sans que les citoyens s'y intéressent le moins du monde. L'Afrique noire, considérée comme une terre sans maître, fait l'objet d'un partage au cordeau à la Conférence de Berlin en 1885.