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L'héritage des grandes invasions : quand les Romains ont tout changé
L’héritage des grandes invasions 3/6 - « Nos ancêtres les Gaulois... », proclamaient autrefois les livres d'histoire. Sauf que d'autres peuples ont aussi participé à la fondation de ce qui sera plus tard la France. Comme les Romains.
En 51 avant J.-C., avec la reddition du dernier bastion gaulois d'Uxellodunum, un an après la défaite d'Alésia, la Gaule n'est plus indépendante mais gallo-romaine... Une invasion qui a complètement changé, voire éradiqué, le mode de vie de nos ancêtres. Tout commence en - 58 avec Jules César et la guerre des Gaules. Sept décennies après la première implantation romaine sur le territoire de l'actuelle France, du côté de Narbonne, le conquérant joue sur les rivalités entre les différentes tribus gauloises et soumet grâce à cette tactique l'ensemble de la Gaule en six ans.
« A cette époque, la Gaule est simplement une zone géographique divisée en trois parties n'ayant aucun rapport entre elles au niveau de la langue et de la culture. Une soixantaine de petits Etats constamment en guerre les uns contre les autres font des prisonniers, qu'ils vendent comme esclaves aux Romains », explique Jean-Paul Demoule, archéologue et professeur à l'université Paris-I.
La culture gauloise disparaît
En 52 avant J.-C., les Gaulois forment cependant une grande coalition regroupant la plupart des tribus dont Vercingétorix, originaire d'Avern (l'Auvergne actuelle), est désigné chef. Mais cela ne suffit pas : les Gaulois sont vaincus. « C'est une invasion très violente, poursuit le spécialiste. On compte au moins 500 000 Gaulois morts, sur une population estimée à 10 millions de personnes, plus 500 000 emmenés en esclavage à Rome. » En quelques générations, les Gaulois perdent complètement leur culture, leur langue, leur religion, dont il ne reste quasiment aucune trace.
Un peuple de conquérants
La Gaule reste romaine jusqu'aux invasions barbares. Pendant quatre cent soixante ans, les Romains ont parfaitement intégré le territoire et sa population dans leur empire. De nouvelles structures politiques et administratives sont apparues, les routes et les paysages redessinés, les villas — de grands domaines agricoles — ont poussé comme des champignons. Une véritable « romanisation » amplifiée par le fait que les Gaulois, à commencer par leurs élites, s'appliquent plus à imiter leurs vainqueurs qu'à conserver leurs traditions.
Les esclaves sont omniprésents dans la civilisation romaine antique. Heureusement qu’il y avait des Romains plus sympas que d’autres, mais leurs conditions de vie et de travail sont le plus souvent très difficiles.
3 types d’esclaves:
-Les esclaves sont souvent des prisonniers de guerres (il fallait bien défendre son pays! Au moins ils seront esclaves pour la bonne cause on va dire).
-Un enfant d’esclave est esclave dès la naissance. (C’est pas juste, il a rien demandé lui! )
-Un citoyen romain pouvait aussi être condamné à l’esclavage. Il n’a plus de droits de citoyen… Il devient esclave en gros.
Le statut de l’esclave:
Pour les Romains, l’esclave est une « chose », il est considéré comme un objet. Si deux esclaves veulent vivre en couple (oui, ils avaient quand même le droit!), il leur faut l’autorisation de leur maître (faut pas en demander trop non plus!).
L’esclave doit obéissance à son maître (c’est le principe d’un esclave), du coup le maître en profite, et il fait faire à l’esclave toutes les tâches les plus difficiles et les plus pénibles, et bien sûr, l’esclave n’est pas payé (oui, les Romains n’ont aucune pitié!), sauf les plus chanceux mais bien sûr, cela reste très rare! Si un esclave cause des problèmes à une personne libre, le maître peut livrer l’esclave à cette personne. Mais (parce qu’il y a un mais!), si une personne libre cause des problèmes à un esclave, le maître peut exiger réparation de cette personne (heureusement qu’il y a justice dans ce monde de brutes). Il ne faut pas se fier aux rumeurs car les maîtres peuvent aussi être punis pour violence ou cruauté envers leurs esclaves!
Les métiers des esclaves:
Les esclaves effectuaient différents travaux. -Les travaux les plus pénibles, c’est-à-dire le travail à la mine, les manœuvres, les travaux agricoles (ramassage des olives, mise en culture des champs…)… Ils y laissaient souvent leur vie.
-Les esclaves pouvaient aussi être des gladiateurs mais il y avait deux types de gladiateurs. Soit ils savaient se battre grâce à un passé militaire et ils étaient choisis (eh bien tant mieux pour eux!) ; soit, au contraire, c’étaient les victimes et ils étaient désignés. Évidemment, vous vous doutez bien que leur espérance de vie était très faible.
L’esclave de la famille: le famulus
Contrairement aux préjugés, chaque famille romaine possède au moins un esclave, qu’elle soit riche ou pauvre. Il y a plusieurs sortes d’esclaves dans la famille:
-La nourrice (nutrix) qui élève les enfants.
-La servante (ancilla). Elle est assez proche de ses maîtres et aide sa maîtresse à la toilette.
-Le valet (ministrus). Il est lui aussi proche de ses maîtres et aide son maître à revêtir sa toge. En fait c’est la servante pour les hommes.
-Les domestiques cuisinent, jardinent…
Sources: https://sites.google./sitcome/civilisationromaine/la-societe-romaine/l-esclavage
Pendant un siècle, les historiens ont plutôt étudié les grandes révoltes serviles, symbolisées par Spartacus, et la dure condition des esclaves de l'Antiquité romaine. Aujourd'hui, on met l'accent sur le dynamisme économique de ces hommes qui pouvaient aussi être chefs d'entreprise ou hauts fonctionnaires... Portrait de groupe contrasté.
Qui étaient les esclaves de l'Antiquité romaine ? De la fin du XIXe siècle jusqu'aux années 1970, on s'est surtout intéressé à eux comme à des prolétaires, comme à des exploités qui ne possédaient rien. On a étudié leurs révoltes, on les a analysées comme l'indice d'une conscience de classe avant la lettre. Cette façon de traiter des esclaves était conforme à ce qu'en avait dit Karl Marx, mais on ne la rencontrait pas seulement chez les historiens marxistes, loin de là.
Les trois grandes « guerres serviles » qui ont bouleversé le monde romain entre le IIe et le Ier siècle av. J.-C. [1] ont ainsi donné matière à des développements fournis. Moses I. Finley a souligné, à juste titre, que c'étaient, et de loin, les trois révoltes d'esclaves les plus importantes de toute l'histoire du monde, avec celle de Toussaint- Louverture à Haïti, à l'époque de la Révolution française. Toutes quatre « ont atteint les dimensions d'une véritable guerre, avec plusieurs milliers d'hommes en armes des deux côtés, avec des batailles en rase campagne, des sièges et des occupations de villes » [2]. A chaque fois, ces révoltes concernaient des bergers et des agriculteurs, décidés à protester contre la dureté de leur condition, et pour cela prêts à se rassembler, à se doter d'un chef reconnu par tous, et à combattre les armes à la main.
Le nombre de ces esclaves de la campagne avait en effet beaucoup augmenté par suite des conquêtes de Rome, entre le IIIe et le Ier siècle avant Jésus-Christ. A chaque guerre, des prisonniers étaient réduits en esclavage et vendus. En outre, la supériorité de Rome était à l'origine d'une activité de traite, de commerce d'esclaves, au profit des négociants italiens et des habitants de la péninsule. Les esclaves avaient fini par constituer la main-d'oeuvre indispensable à la bonne marche de l'économie romaine, aux champs comme dans les ateliers et les mines. C'étaient les classes dangereuses, les damnés de la terre de la Grèce et du monde romain…
DES MANAGERS À LA TÊTE D'UNE BOUTIQUE OU D'UN NAVIRE
Or, depuis vingt ans environ, on n'écrit plus de la même façon l'histoire des esclaves de l'Antiquité : en quelques années, les questions posées et les centres d'intérêt se sont considérablement modifiés, quoique la documentation reste à peu près la même. On ne nie certes pas la présence des grands troupeaux d'esclaves des IIe et Ier siècles av. J.-C., et il est sûr que les trois guerres serviles ont eu lieu. Mais, désormais, on insiste davantage sur les limites du phénomène « esclavagiste ». On remarque que, dans les domaines agricoles, la main-d'oeuvre servile était mêlée à une main-d'oeuvre libre, notamment saisonnière, et que, en dehors de l'Italie péninsulaire et de la Sicile, le nombre des esclaves était sans aucun doute plus réduit. D'ailleurs, après la révolte de Spartacus, il n'y a plus eu aucune grande insurrection d'esclaves.
L'attention des historiens s'est déplacée vers un autre groupe d'esclaves, moins nombreux à coup sûr, quoique peut-être aussi important économiquement, celui des gestionnaires, qu'on appelle parfois « esclaves managers » : un esclave pouvait, à la place de son maître, exploiter une boutique ou un navire. Le maître qui possédait beaucoup d'esclaves tirait donc profit, par leur intermédiaire, de diverses entreprises, et dans des secteurs économiques qui n'étaient pas nécessairement les siens.
Un spécialiste de droit romain de l'université de Rome, Andrea Di Porto, a écrit sur ce groupe un livre très érudit, mais aux conclusions tranchées [3]. Leur existence fait, selon lui, l'originalité de la société romaine antique, et il pense qu'elle explique les plus importantes réalisations de son économie. L'activité artisanale et commerciale des esclaves a en effet permis la production de beaux objets à un prix moindre et en plus grande quantité, par exemple la céramique fine qu'on appelle l'arétine fabriquée en Toscane actuelle pendant un siècle, au tournant de notre ère, et elle a favorisé la diffusion de tels objets parmi de plus larges couches de la population.
Les préoccupations de notre époque contribuent, bien sûr, à expliquer ce changement de perspective assez brusque. Au problème social de la classe ouvrière, qui a tant dominé la fin du XIXe siècle et le début de celui-ci, a succédé une réflexion plus poussée sur l'entreprise et l'entrepreneur. Une évolution semblable s'observe en histoire des techniques : les stratégies techniques des ingénieurs et des entrepreneurs tendent à être davantage étudiées, aux dépens des savoir-faire populaires de l'ouvrier, de l'artisan ou du cultivateur.
VENDUS PAR LEUR PARENTS À DES TRAFIQUANTS
Aujourd'hui, et en essayant de ne pas trop céder aux modes du moment, tout en reconnaissant ce que la recherche leur doit, que peut-on dire de la situation des esclaves dans la Rome antique ? Et d'abord, comment devenait-on esclave ?
De bien des façons. En premier lieu, évidemment, par la guerre. Les représentations de prisonniers barbares sont fréquentes, par exemple sur les monuments de triomphe. Par le vêtement, la coiffure, les armes, éventuellement même par les traits du visage, les artistes essayèrent de rendre des types ethniques précis. Ils figuraient aussi des femmes, seules ou avec des enfants, parfois personnifications des peuplades ou provinces vaincues. Le début de l'Epidicus , une comédie de Plaute, évoque le retour de l'armée après une expédition victorieuse ; les soldats démobilisés ramènent avec eux une foule de captifs. C'est le butin.
On pouvait également devenir esclave parce qu'on avait été capturé en mer par des pirates, ou victime de razzias de trafiquants. Là-dessus aussi, les comédies de Plaute fournissent de belles histoires. Le Poenulus raconte comment ont été volés les enfants de deux frères qui étaient riches et vivaient à Carthage. L'un avait un fils, l'autre deux filles ; tous trois ont été enlevés, transportés ailleurs, et vendus comme esclaves. On devine qu'à la fin de la comédie, tout le monde retrouve tout le monde, et que ces pauvres jeunes gens sont libérés.
Enfin, il arrive tout simplement qu'un proche effectue la vente, pour toucher une somme d'argent. On entend souvent parler de parents qui vendent leurs enfants en esclavage pour échapper temporairement à la misère. Saint Augustin par exemple, au début du Ve siècle, parle dans une lettre de trafiquants qui viennent en Afrique du Nord pour se réapprovisionner. Ils achètent aux parents un certain nombre d'enfants ; en outre, ils organisent des enlèvements, et transportent ensuite dans d'autres régions, de l'autre côté de la Méditerranée, le produit de leurs achats et de leurs rapines [4].
Légalement, les citoyens romains, notamment ceux d'Italie, ne pouvaient pas être réduits en esclavage. Mais les hommes et femmes libres des autres régions de l'empire étaient menacés par ce sort peu enviable.
A quoi ces esclaves étaient-ils employés ? Les guerres serviles que nous avons évoquées n'ont été possibles que parce qu'il y avait à l'époque beaucoup d'esclaves qui cultivaient la terre et gardaient les troupeaux. En Sicile, par exemple, de grands domaines, qui appartenaient auparavant au roi de Syracuse, étaient devenus propriété de l'État romain. Rome les loua à très long terme, et pour une faible redevance, à de riches notables, les uns romains, les autres siciliens. Ceux-ci y employaient une main-d'oeuvre d'esclaves — paysans, bergers ou bûcherons.
Quelques-uns des esclaves agriculteurs recevaient un lot de terre à cultiver avec leur famille, et devaient verser au propriétaire leur maître, en général une partie des récoltes. C'est ce qu'on appelle les « esclaves-colons ». Mais ils étaient sûrement très minoritaires. Sur les terres, la plupart des esclaves étaient employés par équipes, comme les esclaves des plantations américaines. Ils n'avaient pas de famille, vivaient très durement dans des cellules, des sortes de casernes, encadrés par des esclaves contremaîtres ou par un intendant, le vilicus , qui était lui aussi un esclave, mais dirigeait le domaine au nom du maître, et devait surveiller de très près les autres esclaves.
LES ESCLAVES DOIVENT-ILS TRAVAILLER ENCHAÎNÉ
Il leur était évidemment interdit de sortir du domaine. Le soir, le vilicus veillait à ce qu'ils soient dans leurs cellules pour la nuit. Certains, particulièrement forts, et jugés dangereux, violents, étaient même enchaînés de jour comme de nuit, et logés dans des cellules spéciales, de haute sécurité, qu'on appelait les ergastules. Les auteurs des traités agronomiques latins, Caton au IIe siècle av. J.-C., Varron au siècle suivant et Columelle Ier siècle ap. J.-C., déconseillent aux propriétaires de terres de faire travailler de tels esclaves enchaînés, car ils pensent qu'il faut miser sur une certaine compétence et sur le soin attentif du propriétaire, plutôt que sur la contrainte pure et simple. Les hommes enchaînés, dit Columelle, risquent de nuire au domaine plutôt qu'ils ne le mettent en valeur.
Combien y avait-il de ces esclaves exploités, paysans, bergers, ouvriers ou mineurs ? Cela dépend de l'idée qu'on se fait du nombre total des esclaves. Peut-on connaître ce nombre ? Les Romains ne nous ont transmis aucun chiffre à son sujet, et eux-mêmes ne savaient probablement pas combien il y avait en tout d'esclaves dans leur empire. On admet en général qu'il s'en trouvait plus en Italie qu'en Afrique du Nord ou qu'en Égypte. Un historien démographe du début du siècle, Julius Beloch, a réuni les maigres indices disponibles, et, pour l'Italie, a parlé de deux millions d'esclaves sur une population totale de six millions d'habitants. Par la suite, certains sont allés jusqu'à dire que l'esclavage concernait 40 % de la population italienne. Actuellement, on a tendance à réviser ces chiffres à la baisse. De toute façon, on pense qu'en dehors de l'Italie, à l'époque romaine, le nombre des esclaves était inférieur à 20 % de la population — et peut-être de très loin.
Quoi qu'il en soit, le fait que les esclaves aient toujours été minoritaires à l'époque romaine n'empêche pas que l'esclavage ait exercé une forte influence sur l'ensemble des institutions et de la société. Dans les États du sud des États-Unis, les esclaves n'ont jamais été plus du tiers de la population, et c'était pourtant, sans nul doute, une région « esclavagiste ».
Pour ce qui est des esclaves gestionnaires, les managers, ils étaient sûrement moins nombreux que ceux des domaines agricoles ou des mines, et il est encore plus difficile d'en estimer la quantité. Car ils vivaient plus dispersés et ne formaient pas de groupes aussi massifs. Certains habitaient chez leur maître, d'autres dans leur boutique ou leur atelier, ou dans un appartement indépendant. Il leur était possible d'avoir une concubine qui, certes, n'était pas légalement leur épouse et des enfants. Ils occupaient des fonctions d'artisan, de petit commerçant, de négociant parfois. Leur maître leur permettait de gérer une entreprise, un atelier, une boutique, une banque, un bureau de prêt d'argent — entreprises en général de petite taille, mais qui pouvaient rapporter gros, et dont le profit, d'une façon ou d'une autre, était partagé entre le maître et l'esclave : souvent, quand l'esclave achetait sa liberté, c'était avec ces profits réalisés dans son entreprise, et une partie des bénéfices revenait ainsi au maître. Cependant, l'esclave une fois libéré devait subvenir à ses besoins, ainsi qu'à ceux de ses enfants et de sa femme. L'affranchissement supposait donc une transaction, dont les détails nous sont malheureusement presque totalement inconnus.
LE PÉCULE, UN PETIT CAPITAL REMIS PAR LE MAÎTRE
Pour ces esclaves gestionnaires, il existait en fait trois types de situation. Dans le premier cas, l'esclave avait une fonction de gestionnaire sous les ordres directs de son maître ; il assurait les paiements de ce dernier ou tenait sa caisse : il était dispensator , trésorier, ou arcarius , caissier, ou bien encore agissait à la place de son propriétaire dans les limites de la légalité. Ce qui lui permettait parfois de gagner de l'argent, car, parallèlement aux affaires de son maître, il pouvait aussi mener les siennes propres, et par exemple prêter de l'argent à intérêt.
Le deuxième cas est celui des esclaves préposés : une boutique ou un atelier est exploité par le maître, mais par l'intermédiaire de l'esclave, qui a reçu des instructions sur les affaires qu'il doit mener. Si le maître possédait une boutique de banque modeste banque de dépôt, qui n'a rien à voir avec nos grands établissements de crédit, il la confiait à l'un de ses esclaves, qui devait lui rendre des comptes. Un contrat précisait, pour chaque cas particulier, les termes de cette « préposition » ce que l'esclave était autorisé à faire par son maître, et le maître était responsable des agissements de l'esclave dans la limite de la préposition qu'il avait conclue avec lui.
Le texte de la préposition devait être affiché de façon visible dans la boutique ou dans l'atelier, et les clients avaient intérêt à le lire, car, s'ils concluaient avec l'esclave des affaires qui n'étaient pas incluses dans ces dispositions, ils risquaient d'y perdre de l'argent.
Le troisième cas était celui du pécule. Beaucoup d'esclaves travaillant dans le commerce, la fabrication ou la finance recevaient de leur maître un petit capital, le pécule, qui, dans une certaine mesure, leur appartenait en propre : ils n'en étaient pas juridiquement propriétaires, puisqu'ils étaient eux-mêmes propriété de leur maître. Mais on reconnaissait malgré tout une spécificité à ces biens à eux confiés. Si les esclaves faisaient faillite, le maître était responsable jusqu'à concurrence du montant du pécule. Au cas où l'esclave faisait des dettes, il n'avait à rembourser qu'un total inférieur ou égal à la valeur du pécule.
Quant à l'autonomie quotidienne et concrète dont jouissaient ces esclaves managers, elle était souvent très grande, surtout s'ils possédaient un pécule. Dans plusieurs exemples que nous connaissons ou dont parlent les textes juridiques, nous voyons que le maître n'était au courant ni du détail des affaires menées par l'esclave, ni même de la santé de son entreprise. Ainsi, l'esclave et futur pape Calliste, qui exploitait une petite banque à Rome vers la fin du IIe siècle, fit faillite sans que son maître Carpophore ait été mis au courant de ses difficultés financières.
CHÂTIMENTS CORPORELS, TORTURES ET ABUS SEXUELS
Cela posé, et étant donné le peu que nous savons des réalités auxquelles étaient confrontés les esclaves prolétaires comme gestionnaires, que pouvons-nous dire de leur état ? Nous risquons sans cesse de le concevoir de façon à la fois trop douce et trop rigoureuse. Trop douce surtout. Car nous oublions volontiers, par exemple, que les châtiments corporels étaient légalement réservés aux esclaves, ou qu'un esclave était systématiquement torturé à chaque fois qu'on l'interrogeait dans le cas d'une enquête policière. Nous négligeons aussi le fait que les esclaves des deux sexes étaient, communément et de l'aveu de tous, les jouets sexuels de leurs maîtres.
Cependant, nous ne parvenons pas à nous rendre compte que, depuis toujours, les Romains possédaient une conscience très claire de l'humanité de l'esclave. Celui-ci, certes, était une chose faisant partie du patrimoine de son maître, mais on savait très bien, en même temps, que c'était un homme ou une femme. Cette conscience ne pouvait pas ne pas avoir quelques conséquences, au moins culturelles.
D'autre part, dans le monde romain, ou du moins dans les régions où les esclaves étaient les plus nombreux, des esclaves travaillaient dans tous les secteurs de l'économie et dans tous les types d'activités. Presque toujours, ils étaient subordonnés aux hommes libres, remplissaient les fonctions d'exécutants, étaient chargés des tâches les plus ingrates. Il n'était pas rare toutefois que travail libre et travail servile coexistent dans le même secteur. Ce sont uniquement les proportions qui changeaient, en fonction du temps et du lieu. Ainsi, du IIe siècle avant J.-C. au IIe siècle ap. J.-C., les ouvriers agricoles d'Italie centrale et méridionale étaient très souvent des esclaves, comme nous l'avons dit. Au contraire, en Égypte, à toutes les époques, la plupart de ces ouvriers étaient des salariés, libres du point de vue de leur statut juridique. Les ouvriers produisant la céramique arétine étaient presque tous des esclaves ; mais il n'en était pas de même pour les céramiques du sud et du centre de la Gaule.
Si les esclaves prolétaires et managers sont difficiles à appréhender et à comptabiliser, cela est encore plus vrai pour d'autres catégories d'esclaves de la société romaine.
Pour commencer, les domestiques. Dans toute l'histoire, la fonction de domestique est celle que les esclaves remplissent le plus couramment et le plus constamment. A cet égard, l'Antiquité gréco-romaine ne fait pas exception. Dans l'ensemble des régions de l'empire, les très grandes familles possédaient des dizaines, voire des centaines de domestiques. Dans la seule ville de Rome, ceux-ci se comptaient au moins par dizaines de milliers.
Il était très rare qu'un ou une domestique fût de naissance libre. Il s'agissait soit d'esclaves, soit d'affranchis, hommes ou femmes. Par le tombeau collectif réservé aux domestiques de la maison de Livie, l'épouse d'Auguste, qui mourut elle-même en 29, nous voyons que sa domesticité se composait, pour plus de la moitié, d'esclaves et, pour le reste, d'affranchis. En 61 ap. J.-C., un des grands personnages du Sénat, le préfet de la Ville Pedanius Secundus, fut assassiné dans sa chambre à coucher par l'un de ses esclaves. On nous dit qu'à ce moment-là 400 vivaient sous son toit.
Dans les demeures aristocratiques, la spécialisation des fonctions était très poussée. Un intendant surveillait le nettoyage et l'entretien, et comptait sous ses ordres des esclaves spéciaux pour les divers appartements et la réception des hôtes. D'autres esclaves étaient chargés de veiller sur le mobilier, les meubles, les tapis, la batterie de cuisine, la vaisselle à boire et à manger, les provisions, les collections d'art, la garde-robe... D'autres encore étaient valets de chambre.
Quand le maître était invité à dîner à l'extérieur, il gardait auprès de lui, pendant le repas, un esclave qui restait debout au pied de son lit. Au retour, d'autres étaient chargés de le reconduire, et, la nuit, il fallait aussi des porteurs de torches et de lanternes. Pour se déplacer en litière, six à huit esclaves étaient nécessaires, des hommes vigoureux, souvent des Syriens ou des Cappadociens, vêtus d'une somptueuse livrée. Et comme, dans certaines maisons, chaque membre de la famille avait sa litière personnelle, le nombre de ces « lecticaires » était parfois si élevé qu'on leur préposait un chef.
ANTONIUS MUSA, AFFRANCHI ET MÉDECIN D'AUGUSTE
Évidemment, les Romains qui pouvaient profiter d'une telle domesticité n'étaient qu'une petite minorité. Bien des citoyens modestes possédaient toutefois des serviteurs esclaves, ne serait-ce qu'un ou deux. Sur beaucoup de stèles funéraires, la défunte ou le défunt est représentée accompagnée d'un serviteur ou d'une servante — le plus souvent, la servante assiste la femme à sa toilette.
Certains esclaves étaient la propriété personnelle de l'empereur. Du fait de la personnalité de leur maître, ils bénéficiaient souvent d'une situation privilégiée ils jouissaient ainsi parfois d'un certain prestige par rapport aux autres esclaves, tout en déployant eux aussi des activités très diverses, certains dans les propriétés foncières de l'empereur, ou dans ses mines, d'autres dans l'administration. Une bonne partie des « fonctionnaires » étaient alors, en effet, des esclaves. C'était par exemple le cas des employés des « bureaux palatins », qui correspondaient en gros à nos ministères.
Dans le palais de l'empereur, sur le Palatin, à Rome, Auguste, au tout début de notre ère, et ses successeurs, surtout Claude et Néron, ont mis en place une hiérarchie d'employés, en les recrutant parmi les esclaves et affranchis de leur maison. Ces bureaux impériaux étaient divisés en services, l'un chargé de la correspondance avec les administrateurs, par exemple les gouverneurs des provinces, un autre de recevoir et d'examiner les requêtes venues des sujets de Rome, les provinciaux, à titre individuel ou collectif, un autre de la gestion des finances... Les esclaves occupaient les fonctions de secrétaire, de traducteur du grec en latin, ou du latin en grec et de comptable. Les postes de responsabilité étaient tenus par des affranchis, certains devenus très puissants. Un affranchi de Claude se maria plusieurs fois richement, et la troisième fois avec une princesse juive de la famille d'Hérode ! Les sénateurs romains, souvent issus de vieilles familles, voyaient d'un très mauvais oeil ces réussites individuelles.
Dernière catégorie : ce que nous appelons les professions libérales, ainsi que les activités intellectuelles. Il y avait par exemple beaucoup d'esclaves parmi les médecins, qui remplissaient en même temps la fonction de pharmaciens : c'étaient eux, le plus souvent, qui préparaient les remèdes et les remettaient aux malades. Dans cette pratique, les Romains préféraient s'adresser à leurs esclaves ou anciens esclaves plutôt qu'aux étrangers, souvent grecs, qui exerçaient la même profession, et avaient mauvaise réputation. Caton le Censeur ne disait-il pas que les médecins grecs avaient fait serment d'assassiner les Romains ?
Lucius Domitius Ahenobarbus, un très important sénateur de l'époque des guerres civiles ier siècle av. J.-C., était soigné par l'un de ses affranchis. Antonius Musa, le célèbre médecin d'Auguste, était aussi un affranchi. Des tombes de proches de la famille impériale portent les noms d'autres esclaves médecins, par exemple Tyrannus, médecin de Livie. Au IIe siècle ap. J.-C., Apulée lui-même, qui pourtant n'était pas aussi riche, possédait, nous dit-il, « un esclave montrant en médecine une certaine compétence » .
Même chose pour les instituteurs et professeurs. Le maître élémentaire, ou litterator, était un esclave, qui instruisait à la maison les enfants du père de famille, ou bien parfois un affranchi ; certains enseignants affranchis tenaient école dans un lieu public, par exemple sous un préau ou un portique. Les enfants de Marcus Livius Salinator, consul à la fin du IIIe siècle av. J.-C., furent instruits par le poète Livius Andronicus, qui était son affranchi. Atticus, le beau-frère et ami de Cicéron, fit aussi instruire sa fille par l'un de ses affranchis.
Qui étaient les esclaves de l'Antiquité romaine ? Un groupe social nombreux, mais sûrement minoritaire, qui était employé dans tous les secteurs de la vie quotidienne. Un groupe social hétéroclite, fortement dominé, mais pas toujours pauvre, car la prospérité des esclaves dépendait de l'aisance du maître et de son bon vouloir. Un groupe mêlé à celui des hommes libres, dont il dépendait, et qu'il concurrençait, d'une certaine manière.
Rome était bien une société à esclaves. Pendant plusieurs siècles en effet des esclaves ont cultivé les terres des « villas » d'Italie, les plantations de l'époque antique. Mais ce n'est pas là la seule raison pour laquelle Rome était une société à esclaves. Elle l'était surtout parce que l'esclavage, comme institution, influait sur tous les aspects de la vie antique, économiques, juridiques ou sociaux.
Objectif
L’objectif de ce cours est d’étudier l’histoire économique du monde dans la longue durée, en essayant d’intégrer les multiples dimensions de la réalité économique. Il s’agit non seulement de comprendre les facteurs essentiels expliquant l’apparition puis l’essor – aux trois niveaux : national, relations internationales, mondial – du capitalisme mais aussi de s’intéresser à d’autres systèmes économiques qui peuvent être proches ou très différents du mode de production capitaliste. Un aspect important du cours consistera donc à ne pas considérer seulement l’Europe et les Etats-Unis (même si ces économies sont des références essentielles) mais aussi les autres continents.
Plan
•9/09 :
•1 L’Europe au XVIIIe siècle. Dynamiques et transformation de l’économie.
•2 L’Asie, un développement sans croissance (XVe-mi XIXe) ?
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•23/09 :
•2 L’Asie, un développement sans croissance (XVe-mi XIXe) ? (suite)
•3 Le non développement de l’Afrique XVIIIe-XIXe
•4 Les mécanismes de la croissance (Europe-Etats-Unis) au XIXe siècle
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•30/09 :
•5 Les mécanismes de la croissance (Europe-Etats-Unis) au XIXe siècle (suite)
•6 Relations économiques internationales et colonisation au XIXème siècle
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•7/10 :
•7 L’affirmation d’un capitalisme national (1920-1980) (1) La Crise de 1929 (1919-1933)
•8 L’affirmation d’un capitalisme national (1920-1980) (2) Le « New Deal Order » (1933-1980)
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•21/10 :
•9 L’affirmation d’un capitalisme national (1920-1980) (2) Le « New Deal Order » (1933-1980) (suite)
•10 Une économie planifiée : l’URSS (1913-1989)
• Une économie totalitaire : l’Allemagne nazie (1933-1945)
•
•4/11 :
•11 Du post-fordisme à la troisième Révolution industrielle (depuis 1980)
•12 Economie, finances et mondialisation (fin XXe-début XXIe siècle)
Les Parisiens vont payer très cher leur grand rêve de démocratie sociale ; dans le sang, dans leur chair, mais aussi économiquement, socialement, politiquement et administrativement.
Le 28 mai 1871, l’épopée de la Commune de Paris s’achève dans les derniers combats sanglants du Père Lachaise. La répression Versaillaise n’a pas de limite. Sans compter les morts durant le siège prussien, les combattants tués sur les barricades, le nombre de fusillés durant la semaine sanglante, et après, qui auraient été de l’ordre de 20 à 30.000, sans aucune forme de procès ou après une condamnation expéditive par un tribunal de guerre des vainqueurs. 36.000 Communards ont été faits prisonniers, 4.500 ont été déportés en Nouvelle Calédonie d’après la loi spéciale du 23 mars 1872. 6.000 personnes ont échappé à la répression et sont parties en exil : 3.000 en Grande Bretagne, 1.500 en Belgique, 1.000 en Suisse et 500 aux États-Unis. Bref, entre 1872 et 1870, la capitale a perdu 180.000 habitants. Elle ne sera plus jamais l’épicentre des révolutions comme en 1789, 1830, 1848. D’autant que le prolétariat naissant, à la fin du XIXe et au début du XXe s’installera dans la proche banlieue, la « petite couronne » qui deviendra la « ceinture rouge ». Petit à petit la sociologie de Paris va changer, s’embourgeoisant de plus en plus.
Les combats, les bombardements des Versaillais et les incendies allumés par les Communards ont fait d’importants dégâts. Les reconstructeurs vont en profiter pour moderniser la capitale. Le palais d’Orsay est reconstruit en gare et l’ancien ministère des finances devient le palace Continental.
Punitions architecturales et administratives
Le 16 mai 1871, les Communards décident d’abattre la colonne Vendôme dédiée à la gloire des deux Napoléon. Les Versaillais accusent le peintre d’Ornans, Gustave Courbet, d’en être le responsable alors qu’il n’était même pas présent lors du vote de la direction de la Commune sur cette destruction. Il doit donc financer sur ses propres deniers cette reconstruction évaluée à 323.000 francs. Mais il n’en paiera que 12.000, mourant en exil en Suisse dès 1877.
Mais au niveau symbolique, il y a pire : la construction de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre dite de « vœu national » à l’emplacement même où les Parisiens avait caché cent canons pour qu’ils échappent aux Prussiens. Le parlement vote une loi le 24 juillet 1873 pour débuter sa construction afin d’expier les crimes des Communards. Lors de la pose de la première pierre, durant le discours officiel, le baron Hubert Rohault de Fleury (1828-1910), un petit peintre animalier, réactionnaire, clérical et monarchiste parle des Communards comme « des énergumènes avinés hostiles à toute idée religieuse ». La reconstruction va coûter 46 millions de francs et ne s’achèvera qu’en 1923. Au début des travaux ce sont des prisonniers communards qui serviront de terrassiers.
Le statut de la capitale va aussi subir des modifications. La municipalité unique est supprimée en octobre 1795. Avec la loi du 17 février 1800, Paris passe sous tutelle préfectorale. Elle est dirigée conjointement par le préfet de la Seine et le préfet de police. Alors qu’en 1859, toutes les communes de France sont dirigées par des maires élus par leurs conseils municipaux, eux-mêmes élus par les citoyens hommes, Paris reste sous tutelle du pouvoir. Les maires des 12 puis 20 arrondissements sont nommés par les deux préfets.
La Commune va rétablir la démocratie municipale par un décret du 7 septembre 1870, seulement trois jours après la proclamation de la République sur les ruines de l’Empire vaincu. Le 26 mars 1871 une Commune de 90 membres est élue par tous les Parisiens, hommes et femmes. La loi du 14 avril 1871 reconstitue le Conseil municipal de Paris fort de 80 membres. Dès leur victoire, les Versaillais abolissent l’œuvre constitutionnelle de la Commune. Paris retourne à son statut quo ante jusqu’à la loi du 31 décembre 1975 et l’élection au suffrage universel du maire de Paris aux municipales du 25 mars 1977 (Jacques Chirac). Les fantômes des Communards ont donc plané sur la capitale pendant plus d’un siècle. Preuve que la peur fut grande et longue chez les possédants.
la Commune (18 mars-27 mai 1871)
Tentative à implications révolutionnaires, faite par les ouvriers à Paris après l'insurrection du 18 mars 1871, pour assurer, dans un cadre municipal et sans recours à l'État, la gestion des affaires publiques.
- Le contexte
Cette insurrection prend naissance dans cette ville du travail qu'est devenu Paris en pleine croissance démographique (en 1866, sur 1 799 980 habitants, 57 % vivent du travail industriel et 12 % du travail commercial). Un mouvement ouvrier de plus en plus virulent se forme, des grèves se succèdent, manifestant la prise de conscience de la classe ouvrière, qui a obtenu en 1864 la reconnaissance du droit de grève. Parallèlement, à Londres, la Ire Internationale est créée. La guerre franco-allemande éclate en juillet 1870 : les désastres militaires s'accumulent du côté français, et, le 4 septembre, la république est proclamée sous la poussée populaire. Le gouvernement de la Défense nationale qui est formé a pour mission de continuer la guerre et déclare « qu'il ne cédera pas un pouce de notre territoire ».
Très vite, cette république bourgeoise (composée entre autres du général Trochu, de Jules Favre et de Jules Ferry) est accusée de trahison par la population parisienne, qui, depuis le 19 septembre, subit avec héroïsme les conditions d'un siège de plus en plus difficile et qui réclame, en outre, des succès militaires.
- De la résistance aux Prussiens à l'élection de la Commune
Dans chaque arrondissement se constituent des comités de vigilance, bientôt chapeautés par un comité central pour aider le gouvernement et mobiliser toutes les forces de la nation. L'affrontement entre la république bourgeoise et le peuple armé au sein de la Garde nationale se dessine rapidement.
Dès octobre 1870, l'élection d'une Commune est demandée par la population. Après l'échec de Buzenval (19 janvier), les gardes nationaux réclament le 22 la guerre à outrance. Peu après la signature de l'armistice le 28, les forts sont occupés, l'enceinte fortifiée de Paris désarmée, 200 millions de francs sont versés à la Prusse en quinze jours.
Dans l'Assemblée nationale élue (8 février), les représentants conservateurs de la province (majoritaires), qui désirent la paix, s'opposent aux élus parisiens à majorité républicaine. Les députés, qui siègent à Bordeaux, prennent alors une série de mesures pour mater la ville révolutionnaire (suppression des 30 sous accordés aux gardes nationaux, suppression des moratoires concernant les loyers et les effets de commerce, qui touchent les ouvriers, les artisans et le petit commerce). Outre ces mesures, le transfert de l'Assemblée non à Paris mais à Versailles et l'entrée des Prussiens dans la capitale exaspèrent les Parisiens.
Thiers, dans la nuit du 17 au 18 mars, décide de désarmer la ville afin de la purger de « tous les rouges » en s'emparant des 227 canons regroupés à Montmartre et à Belleville (ils avaient été ramenés par les gardes nationaux du Ranelagh, des Champs-Élysées… avant l'entrée des Prussiens dans la capitale). Mais le 88e de ligne ne parvient pas à prendre les canons à Montmartre et, entouré par les gardes nationaux et la foule, pactise avec les Parisiens et désarme les officiers. Le général Lecomte, qui avait ordonné de tirer sur la foule, et le général Thomas sont fusillés.
Thiers, refusant toute négociation, donne l'ordre d'évacuer la ville et se réfugie à Versailles afin de ne pas se trouver prisonnier. Le Comité central de la Garde nationale siège alors à l'Hôtel de Ville et prépare les élections fixées au 22 mars. Il invite la France à « jeter les bases d'une république avec toutes ses conséquences et qui fermera pour toujours l'ère des invasions et des guerres civiles ». En attendant les élections, le Comité central de la Garde nationale, soutenu par l'Association internationale des travailleurs, les clubs et comités d'arrondissement et la fédération des chambres syndicales, agit comme un gouvernement.
Le 26 mars 1871, les élections municipales (qui ont été repoussées de quelques jours) s'accomplissent dans la légalité, les maires y ayant consenti. Le Conseil communal, élu par 229 167 votants sur 485 569 (soit environ 50 % d'abstention), est mis en place à l'Hôtel de Ville le 28 mars sous le nom de Commune de Paris et reçoit les pouvoirs du Comité central.
Sur 85 membres, 15 du « parti des maires » refusent de siéger. Les 70 membres restants sont idéologiquement très opposés et se répartissent en plusieurs groupes : les blanquistes (9), partisans de l'action directe (→ Charles Ferré, Raoul Rigault) ; les jacobins (→ Charles Delescluze, Gambon, Miot, Félix Pyat), qui veulent faire de Paris l'élément moteur du gouvernement de la France. La majorité est complétée par les révolutionnaires indépendants (Clément). Quant à la minorité ouvrière, composée d'internationaux militants (17 membres, dont Varlin, Frankel), elle s'inspire de Marx et Proudhon. Le reste est indécis et comprend quelques personnalités comme Courbet, Zéphirin Camélinat, Gustave Flourens.
Très vite le clivage entre la tendance majoritaire et minoritaire se produit. Si tous veulent consolider la république et consacrer l'autonomie absolue de la Commune de Paris, les uns veulent que cette dernière dirige dictatorialement la France comme en 1793, les autres qu'elle s'intègre à cette fédération des communes de France dans laquelle doit se dissoudre l'État.
- L'action de la Commune
3.1. Les commissions
Cette diversité d'opinions, qui s'ajoute à la dualité des pouvoirs entre le Comité central de la Garde nationale maintenu après les élections et le Conseil général de la Commune, contribue à diminuer l'efficacité de la Commune. Alors que des mouvements communalistes éclatent à Lyon (4 septembre), Saint-Étienne, au Creusot, à Limoges, Narbonne, Toulouse et surtout Marseille sous l'impulsion de Gaston Crémieux (fin mars-début avril 1871), mais sont rapidement réprimés par le gouvernement, Paris essaie de s'organiser militairement et politiquement. Dès le 29 mars, le Conseil de la Commune met sur pied neuf commissions, qui sont autant de véritables ministères, couronnées par une Commission exécutive qui devait jouer le rôle d'un véritable gouvernement à partir du 21 avril.
3.2. L'œuvre sociale de la Commune
C'est dans le domaine du travail que la Commune manifeste sa volonté de donner un caractère social à son entreprise et fait œuvre de précurseur. Elle nomme un marxiste, Léo Frankel, à la commission du Travail, de l'Industrie et des Échanges. Pour défendre les intérêts de la petite bourgeoisie et de la classe ouvrière, un certain nombre de mesures à caractère social sont prises : moratoire des effets de commerce et des loyers, abolition du travail de nuit des ouvriers boulangers, abolition des amendes et des retenues sur les salaires, suppression des bureaux de placement, enfin adoption de la journée de 10 heures. Il s'agit d'organiser le travail et d'en donner à ceux qui n'en ont pas. Aux Finances, la Commune a placé François Jourde, comptable d'une honnêteté scrupuleuse qui reculera devant la nationalisation de la Banque de France, « n'osant toucher à la fortune de la France ».
3.3. L'instruction laïque, obligatoire et gratuite
Dans le domaine de l'enseignement, la Commune agit avec vigueur. La commission de l'Enseignement, dirigée par Édouard Vaillant, met en place une œuvre essentiellement laïque, obligatoire et gratuite, liée à l'attitude anticléricale de la Commune (suppression du budget des cultes et séparation des Églises et de l'État, transformation en propriété nationale des biens de mainmorte appartenant aux congrégations). Les municipalités sont invitées à créer des écoles professionnelles pour des jeunes filles, amorçant une réforme de l'enseignement primaire et professionnel.
- La réaction du gouvernement et l'écrasement de la Commune
4.1. Versaillais contre communards
Très vite, cependant, l'effort de la Commune est absorbé par la lutte contre les forces de Thiers. Regroupées du 10 au 25 mai au camp de Satory et renforcées de soldats et d'officiers de l'armée de Mac-Mahon libérés par les Allemands et dotés d'une bonne artillerie, celles-ci comptent 130 000 hommes.
Après plusieurs échecs militaires (le fort d'Issy a failli tomber aux mains des versaillais), la Commune décide de créer un Comité de salut public (1er mai, renouvelé le 9 mai). Elle est en état d'infériorité du fait de l'incompétence des délégués à la Guerre (→ Cluseret, Rossel, Delescluze), de l'indiscipline et de l'insuffisance des combattants : la Commune ne réussit à en mobilier qu'entre 20 000 et 30 000).
Les troupes versaillaises place de la ConcordeUne rue à Paris en mai 1871 ou La Commune
Les versaillais resserrent leur pression et s'emparent des forts de Vanves (13 mai) et d'Issy (8 mai) avant de pénétrer dans Paris par la porte de Saint-Cloud le 21 mai. Les troupes versaillaises gagnent le centre de la capitale, dont les rues se couvrent de barricades, défendues quartier par quartier, sous la direction d'un membre du Comité central, tandis que les Tuileries, l'Hôtel de Ville et la Cour des comptes sont la proie des flammes.
4.2. Une impitoyable répression
Paris et ses ruines : l'Hôtel de Ville après l'incendie de la Commune en 1871Affiche de propagande
Aux massacres des Parisiens par les troupes de Thiers, les communards répondent en fusillant 52 otages, dont Monseigneur Darboy, archevêque de Paris. Le 27 mai, les derniers combats se déroulent au cimetière du Père-Lachaise, où 200 communards se sont rentranchés. À court de munitions, ces derniers se défendent à l'arme blanche mais sont vaincus par les versaillais qui achèvent les blessés et fusillent les derniers survivants contre le mur de l'enceinte, devenu depuis le mur des Fédérés. On appellera la semaine du 21 au 28 mai la « semaine sanglante ». Les jours suivants, les cours martiales continuent à condamner à mort.
Le mur des FédérésFédérés fusillés pendant la Commune de 1871
Du 3 avril au 31 mai, on estime entre 20 000 et 30 000 le nombre de Parisiens tués au combat ou exécutés (les versaillais ont perdu environ 1 millier d'hommes). Le gouvernement fait procéder à 40 000 arrestations environ, et les poursuites dureront jusqu'en 1874. Les 26 conseils de guerre prononceront 13 450 condamnations, dont 268 à mort (23 condamnés seront exécutés, dont Ferré et Rossel), les autres aux travaux forcés et à la déportation dans les bagnes de Nouvelle-Calédonie. Des milliers de vaincus doivent s'exiler. L'amnistie votée en 1880 ramènera en France les derniers survivants.
Si la dure répression qui s'est abattue sur les communards prive le mouvement ouvrier de ses chefs, l'influence de la Commune devait être considérable. Karl Marx en fit le symbole du soulèvement contre la bourgeoisie.
Par Samuel Guicheteau, Université de Nantes
Samuel Guicheteau a récemment publié Les ouvriers en France.1700-1835, Paris, A. Colin, Collection U, 2014. Il présente ici les enjeux historiographiques et épistémologiques de cet ouvrage.
Cette présentation vise à mettre en lumière quelques enjeux de l’histoire des ouvriers dans la Révolution française. Deux questions peuvent guider la réflexion : comment faire l’histoire des ouvriers ? Quels éclairages cette histoire des ouvriers apporte-t-elle à l’analyse de la Révolution ?
Identité et expérience : renouvellements de l’histoire sociale et de l’histoire de la Révolution française
Il n’est plus possible de considérer les ouvriers comme un groupe a priori. Cependant, il est également impossible d’ignorer l’importance de l’industrie au 18e siècle et, donc, l’existence d’une main-d’œuvre industrielle. Or, l’importance même de la main-d’œuvre industrielle a pour conséquence sa diversité : les ouvriers travaillent dans de multiples activités et dans des cadres variés (seul à domicile, en atelier, dans une manufacture concentrée, sur des chantiers) ; ils exercent des métiers plus ou moins qualifiés ; hommes et femmes, citadins et ruraux se distinguent ; enfin, les travailleurs de l’industrie présentent des situations socio-économiques différentes. Tandis que certains sont salariés, d’autres travaillent à façon (notamment des ruraux pluri-actifs, mais aussi de petits maîtres déchus à l’instar des célèbres canuts lyonnais). Cette diversité de la main-d’œuvre industrielle pose des problèmes de définition et de méthode. Tous ces travailleurs ne se sentent pas appartenir à un même groupe social : il existe donc des mondes ouvriers. De plus, à la hiérarchie des qualifications peuvent s’articuler le clivage des sexes, le clivage ville / campagne. La diversité se double donc de césures entre ouvriers. Les Ouvriers, comme les Paysans ou le Peuple, ne sont pas des catégories naturelles, mais des constructions forgées par les acteurs historiques, puis par des historiens.
Il est également impossible de projeter sur les ouvriers du XVIIIe siècle les critères du XXe siècle. Il faut donc s’intéresser à l’identité originale de ces ouvriers. L’identité n’est ni donnée, ni figée : elle s’éprouve lors d’expériences partagées, elle est donc plurielle et ouverte. Les ouvriers développent une conscience professionnelle : ils se sentent appartenir à un métier. Cette conscience professionnelle s’inscrit dans l’ensemble des identités communautaires : les hommes du 18e siècle se sentent appartenir à un village, à un quartier, à un métier. De plus, l’identité n’est pas univoque : ce sentiment d’appartenance à une communauté s’inscrit dans une série d’identités emboîtées. Les ouvriers sont insérés dans l’ensemble des couches populaires : ils partagent par exemple l’attachement à l’économie morale, qui veut que les autorités réglementent l’activité économique pour permettre la vie.
Il est néanmoins judicieux d’étudier les ouvriers dans leur ensemble pour deux raisons. D’une part, ils présentent des traits communs et originaux. Le travail est le creuset d’une identité ouvrière. Au travail, les ouvriers forgent des pratiques et des valeurs : le travail qualifié nourrit l’exaltation du métier ; l’élasticité du temps de travail, la plasticité de l’espace de travail, la maîtrise du processus de production nourrissent l’attachement à l’autonomie ; la qualification et l’autonomie fondent la fierté. Toutefois, il faut préciser que des modalités similaires de construction de l’identité au travail ne donnent pas nécessairement naissance à une conscience collective car l’exaltation de la qualification suscite le sentiment d’appartenir à un métier. Fiers de leur savoir-faire, menuisiers, verriers, maçons … développent un sentiment comparable : ils se sentent tous appartenir à un métier, mais chacun à son métier.
D’autre part, les ouvriers partagent au travail une série d’expériences : l’industrialisation, les bouleversements des Lumières et la Révolution française. Mais, pas plus que l’identité comparable forgée au travail ne donne automatiquement naissance à une conscience collective, ces expériences partagées ne suscitent une telle conscience. En effet, les ouvriers ne constituent pas un « matériau humain brut », selon la formule d’E.P. Thompson dans son livre sur La formation de la classe ouvrière anglaise, qui constitue une référence fondamentale pour l’histoire ouvrière actuelle (1). Ils vivent les mutations du XVIIIe et du XIXe siècle pour partie en fonction de leur identité préexistante. Ainsi, leur conscience professionnelle se trouve cristallisée par des organisations professionnelles, dont le renforcement, inhérent à la montée des tensions qui accompagne l’industrialisation, peut entretenir les césures entre métiers ou entre les ouvriers qualifiés et les autres, notamment les femmes. Par ailleurs, les ouvriers participent aux mobilisations populaires générales de la Révolution française et développent alors la conviction de posséder des droits civiques. Ainsi réapparaissent des identités plurielles, sous des formes nouvelles.
Si l’invention d’une conscience collective ouvrière n’est nullement évidente, l’identité ouvrière n’est pas pour autant figée. Bien au contraire, les ouvriers sont des acteurs des transformations à l’œuvre et leur identité s’enrichit. Ils élaborent des stratégies et cultivent des aspirations, et contribuent ainsi au développement de ces transformations au même titre que les autres protagonistes sociaux. De plus, celles-ci sont des processus originaux et complexes, forgées précisément par les rapports entre les différents acteurs sociaux.
Les ouvriers peuvent donc être appréhendés comme des acteurs à part entière. Acteurs du façonnement de leur identité, ils ne sont pas créés par la révolution industrielle sous la forme d’un prolétariat homogène au XIXe siècle. Les ouvriers sont donc aussi des acteurs de la voie originale française d’industrialisation. Ils résistent aux exigences nouvelles des manufacturiers et des négociants, qui, dès le XVIIIe siècle, cherchent à rationaliser le travail et à remettre en cause leur autonomie. Mais leur résistance ne doit pas être vue comme archaïque : les ouvriers ne sont pas des obstacles à l’application d’un modèle anglais de révolution industrielle. Leur résistance contribue plutôt au façonnement de l’originalité de l’industrialisation française. Elle suscite le renforcement des organisations ouvrières qui favorisent, dans les luttes, la découverte des Lumières, la revendication de droits, notamment durant la Révolution. De plus, l’intervention des ouvriers dans la Révolution contribue à son ampleur, concourt donc à en faire la matrice de l’originalité de l’histoire de France. Enfin, les ouvriers sont des acteurs de la Révolution française : ils développent des luttes ouvrières tout en participant aux diverses mobilisations populaires, révolutionnaires ou anti-révolutionnaires, citadines et rurales. Les ouvriers sont des acteurs de toutes les mutations en cours : ils les abordent à travers leur identité et celle-ci s’enrichit de leurs expériences, sans que pour autant l’émergence d’une conscience collective soit évidente.
Ce renouvellement de l’analyse sociale, qui écarte la réification des groupes sans renoncer à une approche collective de la société, peut contribuer au renouvellement de l’interprétation de la Révolution française, dont témoigne le colloque Vers un ordre bourgeois ?, dans lequel J.-P. Jessenne écrit qu’on peut « réinterroger l’événement révolutionnaire en partant des acquis récents de l’histoire sociale selon lesquels l’identité (…) des groupes (…) n’est pas un donné, mais le résultat d’une construction ( ;) l’identification d’un groupe ou d’une classe découle d’interactions multiples entre des rapports socio-économiques, des représentations culturelles et des investissements politiques » (2). Pour autant, les ouvriers n’abordent pas la Révolution comme un « matériau humain brut », pour reprendre l’expression de E. Thompson : leur participation à la Révolution est marquée par l’investissement dans celle-ci de leurs revendications et, plus largement, des tensions inhérentes à l’industrialisation dans la Révolution.
La sans-culotterie revisitée par l’histoire du travail
Albert Soboul a apporté une contribution essentielle à l’analyse de la sans-culotterie (3). Celle-ci apparaît en 1792, puis se développe en 1793-94. Elle mène trois combats : pour les subsistances, pour la défense nationale, pour la démocratisation de la Révolution. Dominée par les artisans et les boutiquiers, la sans-culotterie présente une grande hétérogénéité sociale : elle rassemble des bourgeois et des gens du peuple, des maîtres et des compagnons. Ceux-ci partagent l’idéal de petite production, le combat pour le pain et développent une culture politique démocratique. Ces combats, pratiques et idéaux communs expliquent la réunion de gens si variés, voire de conditions opposées (patrons et ouvriers) dans un même mouvement. Mais ces différences ne disparaissent pas pour autant : A. Soboul en est bien conscient et il y voit l’origine des contradictions qui fragilisent la sans-culotterie.
Néanmoins, à partir d’une étude poussée de la montée des conflits du travail entre maîtres et compagnons dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Steven Kaplan a remis en cause cette analyse. Il souligne que les conflits du travail s’aggravent notamment lors de la tentative de suppression des corporations en 1776. Étant donné que les corporations mettent en œuvre la police du travail, les ouvriers estiment que la suppression de celles-là signifie la disparition de celle-ci. S. Kaplan pense que ce traumatisme du « carnaval de Turgot » explique la survie des corporations au début de la Révolution, en dépit de l’abolition des privilèges (les corporations étaient des corps privilégiés, dotés de monopoles). De plus, les ouvriers intègrent les principes révolutionnaires et revendiquent notamment la liberté d’association (4). Ils exigent la suppression de la police du travail d’Ancien Régime, dont ils ont combattu le durcissement (5). La poussée des luttes ouvrières est si forte que les modérés – les futurs Feuillants – entreprennent de la briser avec la loi Le Chapelier de juin 1791, adoptée dans un contexte politique périlleux : la poussée démocratique, puis la fuite du roi. La loi Le Chapelier rappelle l’interdiction des organisations ouvrières et limite donc au domaine politique l’exercice des droits civiques, dont les ouvriers sont aussi privés comme citoyens passifs (6).
Cette aggravation des conflits du travail est telle que, pour S. Kaplan, l’union des maîtres et des compagnons dans la sans-culotterie en 1792 est impossible. Il développe donc une nouvelle vision de la sans-culotterie, qui rompt avec l’interprétation classique :
« Le mouvement sans-culotte fit office d’instrument de contrôle social postcorporatif. L’ordre du jour des sans-culottes contribua à prévenir, déplacer et discréditer tout conflit sur le marché du travail. Les valeurs fondamentales des sans-culottes – patrie, famille, travail – interdisaient le genre d’anarchie qui avait fait de la première moitié de 1791 une période si pénible (7). »
Le renversement qu’opère S. Kaplan sur le plan social est complété sur le plan politique par H. Burstin dans son analyse des rapports entre les élites politiques, les militants révolutionnaires et les masses populaires :
« On peut considérer le sans-culotte comme un moule inventé par les élites révolutionnaires pour contenir le mouvement populaire parisien. Pour que ce moule soit efficace, il doit être crédible et acceptable aux yeux, soit des élites qui fixent les bornes de la participation populaire, soit des couches qui doivent s’y identifier. A cette fin, sa figure doit rester aussi vague que possible. Il y a effectivement une sociologie du sans-culotte, mais intentionnellement imprécise : plus vague est la connotation, plus élastique s’avère son application, et plus efficace son emploi métaphorique (...) Le problème est donc celui de permettre aux individus de se situer, de se représenter et de s’interpréter à l’intérieur d’un nouveau système de valeurs mis en place par la Révolution. Pour rattacher les individus à ce système, tout un arsenal idéal typique entre en jeu : une série de notions douées de force de cohésion comme ‘‘peuple’’, ‘‘citoyen’’, ‘‘sans-culotte’’, auxquelles on a recours afin de stimuler un sentiment d’adhésion et d’appartenance » (8).»
Selon Ph. Minard, c’est précisément la loi Le Chapelier qui, en séparant radicalement le social et le politique, suscite « un escamotage du social qui a ouvert la voie à la construction socio-politique factice de ‘‘peuple’’ unifiée autour des thèmes du patriotisme et de la lutte pour les subsistances » ; les rapports sociaux réels sont occultés au profit d’une « citoyenneté abstraite » (9).
Si ce questionnement est intéressant, l’adhésion aux réponses suggérées par ces historiens n’est pas obligatoire. D’ailleurs, d’autres historiens relèvent que les ouvriers se comportent en citoyens au travail, font appel aux sans-culottes ou adhèrent à la sans-culotterie. Ainsi, les ouvrières des filatures parisiennes sollicitent l’appui des sans-culottes pour obtenir de meilleurs salaires. Elles se comportent comme des « citoyennes au travail » : en conflit avec un chef, une ouvrière lit à haute voix dans son atelier la Déclaration des droits de l’Homme (10). C’est d’autant plus remarquable que les ouvrières restent privées des droits civiques en tant que femmes. Les ouvriers de la défense nationale contribuent à la mobilisation nationale et révolutionnaire, tout en avançant leurs revendications qui peuvent, d’ailleurs, se heurter à l’effort de la Convention pour rétablir la discipline du travail au nom de l’effort de guerre (11).
Il apparaît donc que l’histoire des ouvriers peut contribuer au débat sur la réinterprétation de la sans-culotterie, ouvert par S. Kaplan à partir d’une analyse des conflits du travail.
« La Révolution interdit les grèves et les syndicats », « Bonaparte crée le livret ouvrier »
De telles assertions ne sont pas rares, notamment dans les manuels scolaires (12). La Révolution interdit les syndicats avec la loi Le Chapelier, lit-on, comme s’il y avait des syndicats, comme si les associations ouvrières avaient été légales sous l’Ancien Régime et comme si la Révolution était un personnage (la personnification de la Révolution tend à occulter les tensions entre ses acteurs et la diversité des expériences révolutionnaires). En fait, interdites sous « l’Ancien Régime », les associations ouvrières se sont renforcées au XVIIIe siècle, du fait de la résistance des ouvriers face aux nouvelles exigences patronales qui accompagnent le développement économique et face au durcissement de la police du travail qui tente de briser cette résistance. L’interdiction des cabales est rappelée notamment dans deux grands édits de police du travail, celui de 1749 qui généralise le billet de congé (pour être embauché, un ouvrier doit – devrait – présenter un certificat de son précédent maître ; pour l’obtenir, il faut respecter un délai de congé, ce qui empêche de sortir sur un coup de colère ou lors d’une cabale), puis celui de 1781, au lendemain du « carnaval de Turgot », qui crée le livret ouvrier, livret qui compile les billets de congé successifs (13).
Précisément, l’autre erreur que l’on peut relever, c’est l’attribution au Consulat de la création du livret ouvrier. Créé en 1781, le livret se heurte à une très forte résistance des ouvriers dans les années 1780. A partir de 1789, ils développent leurs luttes et exigent que les droits révolutionnaires s’appliquent au domaine du travail. Par conséquent, la police du travail est remise en cause, voire tombe en désuétude : pour les ouvriers, la liberté correspond non seulement à la liberté d’assemblée, d’association (comme on l’a vu) mais encore à la liberté de mouvement : quitter un patron sur-le-champ. L’offensive ouvrière est réprimée par la loi Le Chapelier, mais les associations ouvrières ne disparaissent pas pour autant. De plus, la police du travail reste fragilisée, même si les gouvernements successifs s’efforcent de rétablir la discipline : la Convention pour la défense nationale, le Directoire et le Consulat pour terminer la Révolution, fonder un ordre favorable aux propriétaires, comme le montre l’article 1781 du code civil qui affirme qu’en cas de discorde sur les salaires, « le maître est cru sur son affirmation ».
La loi de germinal an XI constitue une véritable « loi-cadre » pour le « nouvel ordre manufacturier », selon les expressions de J-P Hirsch (14). Cette loi est parfois présentée comme créant le livret ouvrier ou le restaurant. Cependant, l’ampleur des bouleversements révolutionnaires est telle qu’il est difficile, voire impossible de rétablir la police du travail d’Ancien Régime. Précisément, Alain Cottereau souligne les différences entre le livret de 1781 et celui de 1803 (15). D’abord, le nouveau livret est un contrat privé et non plus une mesure de surveillance publique. Certes, c’est le patron qui indique si les engagements ont été tenus. Mais ceux-ci ne sont pas précisés par la loi. Ils tiennent en fait aux usages, dont le code civil prescrit le respect. Ces usages sont locaux. Mais comment les ouvriers peuvent-ils obtenir satisfaction alors que le maître est cru sur parole ? En fait, il faut distinguer louage d’ouvrage et louage de service. Le louage d’ouvrage concerne les ouvriers qualifiés, le louage de service les journaliers et les domestiques. Or, le fameux article 1781 du code civil ne s’applique qu’au louage de service. Pour les ouvriers qualifiés, il revient au patron de fournir des preuves écrites : aux prud’hommes, les ouvriers obtiennent la restitution des livrets retenus par le patron, lorsque celui-ci ne peut fournir de preuves. Mais, la distinction entre louage d’ouvrage et louage de service n’est pas nette au début du 19e siècle. Elle est précisément un enjeu entre patrons et salariés. Ensuite, il est interdit aux patrons de porter des appréciations sur les livrets : les autorités et les tribunaux rappellent cette interdiction qui manifeste leur volonté d’appliquer des principes révolutionnaires au domaine du travail.
Une fois établis ces changements importants, il semble impossible de parler de ‘‘restauration’’ du livret d’Ancien Régime. Selon A. Cottereau, le nouveau livret ne vise pas tant à brider la mobilité des ouvriers qu’à la faciliter : l’inscription des dettes sur le livret permet aux ouvriers de les rembourser tout en changeant de maître. Cependant, selon A. Dewerpe, le livret reste encore un « instrument de contrôle » (16). Si l’ordre fondé par Bonaparte est favorable aux propriétaires, la stabilisation de la société postrévolutionnaire implique l’intégration de droits nouveaux. Si les manufacturiers et les négociants disposent d’institutions représentatives et si les luttes ouvrières sont durement réprimées, le nouvel ordre n’est pas la restauration de l’Ancien Régime.
Une synthèse sur l’histoire des ouvriers dans un long 18e siècle permet de mieux comprendre ce dossier de la police du travail car elle dépasse les coupures académiques entre périodes. C’est également l’intérêt d’une histoire de la Révolution qui commence avant 1789 et se prolonge au-delà de 1799. Cet intérêt réapparaît avec l’étude de la création des tribunaux de prud’hommes, qui met également en lumière l’enjeu de la redécouverte du local, ou plutôt les enjeux car cette redécouverte invite aussi à prendre en compte la diversité des expériences.
De la redécouverte du ‘‘local’’ par rapport au ‘‘national’’ à la prise en compte de la diversité des expériences_
Le premier conseil de prud’hommes est créé à Lyon en 1806. Il prolonge les luttes menées par les canuts au 18e siècle et notamment durant la Révolution. Il prolonge aussi les expériences menées à Lyon durant la Révolution pour intégrer les principes révolutionnaires au domaine du travail : en 1790 a été créé un tribunal des arts et métiers, où siègent déjà à parité des représentants des canuts et des négociants et qui vise à régler les querelles. Enfin, le conseil des prud’hommes s’inspire de la régénération de la justice, comme le montrent l’élection des juges et l’objectif de la conciliation. Du succès des prud’hommes témoignent le nombre d’affaires traitées, l’importance des conciliations et la diffusion rapide de cette nouvelle institution dans les grandes villes de fabrique textile. Les prud’hommes jugent en équité et se réfèrent aux usages : ce sont donc de véritables « justices de paix du travail » (17). Sur la base des usages, du consentement des parties et de l’équité, les conseils de prud’hommes élaborent des jurisprudences, qui apparaissent comme des « quasi-législations locales du travail » (18). La tolérance de ces réglementations est l’une des entorses au libéralisme de principe, qui caractérise le « libéralisme tempéré » du début du XIXe siècle. L’analyse à l’échelle locale met en lumière ces compromis qui favorisent la stabilisation postrévolutionnaire.
La prise en compte de l’échelle locale permet donc de mieux comprendre le « nouvel ordre manufacturier », tandis qu’une approche uniquement nationale soulignait les mesures favorables au patronat et défavorables aux ouvriers (le code civil stipule que le maître est cru sur parole ; la loi Le Chapelier et le Code pénal répriment durement les cabales). Ces « quasi-législations locales du travail » ont disparu avec le développement du droit national du travail au 20e siècle, à partir des premières lois sociales de la IIIe République naissante (19).
Mais, une fois établie l’importance de l’échelle locale, il faut éviter de retomber dans le défaut qui caractérisait l’étude de la seule législation nationale, c’est-à-dire l’établissement d’une norme unique. Si l’on admet l’importance de l’échelle locale, il faut prendre en compte toutes les expériences locales, notamment s’intéresser aux villes qui n’ont pas de conseils de prud’hommes, Paris notamment mais aussi Nantes (jusqu’en 1840). Dans ces villes, la ‘‘réapparition’’ d’un livret s’accompagne de la création de bureaux de placement pour lutter contre la puissance des compagnonnages. Pour combattre le contrôle du marché du travail par les compagnons, les maîtres et les autorités créent de tels bureaux, comme ils l’avaient déjà fait sous l’Ancien Régime. Pour les compagnons de l’artisanat, qui travaillent dans des villes dépourvues de prud’hommes, le livret de 1803 apparaît comme une arme patronale, au même titre que le livret d’Ancien Régime (20). Ainsi, les situations locales varient : ce rappel ne vise pas à atténuer l’intérêt pour l’échelle locale ; bien au contraire, puisqu’il s’agit de prendre en compte la mosaïque des cas locaux.
Enfin, l’absence de conseils de prud’hommes dans certaines villes ne signifie pas que les acteurs locaux ne ressentent pas le besoin de conciliation et de régulation auquel répondent les prud’hommes là où ils existent. La prise en compte de l’échelle locale permet de mettre au jour la pérennité des relations collectives et de l’intervention des autorités publiques dans le domaine du travail, malgré l’adoption de la loi Le Chapelier. En effet, le besoin de concertation, de régulation, voire de réglementation ne s’est pas brusquement évanoui. Les juges de paix, les autorités locales, les représentants en mission répondent à ce besoin. Au début du XIXe siècle, en l’absence de conseils de prud’hommes, les municipalités et peut-être les commissaires de police dans un cadre infra-judiciaire jouent ce rôle (21).
Portée de l’expérience révolutionnaire des ouvriers, diversité des révolutions vécues
La Révolution française constitue, pour les ouvriers comme pour tous les Français, une expérience essentielle : une formidable mobilisation s’accompagne d’une profonde articulation du social et du politique, qui nourrit la conviction de la légitimité des revendications en vertu des Droits de l’Homme. Chez de nombreux ouvriers se développe alors une conscience révolutionnaire qui associe, d’une part, les pratiques et les revendications héritées et, d’autre part, les mobilisations et les principes révolutionnaires : dans le prolongement des luttes précédentes, ils s’efforcent d’appliquer les droits révolutionnaires au domaine du travail.
Cependant, la ‘‘classe ouvrière’’ ne naît pas de la Révolution française. Les ouvriers cultivent en effet, une identité à la fois professionnelle et populaire. D’une part, le combat pour la reconnaissance des organisations ouvrières conforte leur identité professionnelle et accentue même la différence entre ouvriers et ouvrières. D’autre part, la conscience populaire est renforcée par les combats démocratiques pour le droit à l’existence et pour la défense nationale et révolutionnaire. Aussi originale qu’essentielle, l’expérience révolutionnaire enrichit néanmoins considérablement l’identité des ouvriers : en avançant des revendications similaires, issues des tensions suscitées par l’industrialisation, et imprégnées de la volonté d’appliquer au travail les droits révolutionnaires, ils peuvent considérer leur condition commune en termes de droits. Ils partagent alors une expérience révolutionnaire sans pour autant développer une conscience collective spécifique.
Au-delà, il faut aussi prendre en compte la multiplicité des révolutions vécues : connaissant eux-mêmes une grande diversité de situations socio-économiques, les travailleurs industriels ont pu participer à des mouvements populaires très variés, voire antagonistes. Ainsi, des ruraux pluri-actifs se sont mobilisés pour acquérir des biens nationaux, d’autres ont basculé dans la contre-révolution. Mais le foisonnement des expériences révolutionnaires dépasse la distinction ville / campagne et la question religieuse (Nîmes, Ouest) comme en témoigne le mouvement fédéraliste (Marseille, Toulon).
Note
(1) « La formation de la classe ouvrière relève tout autant de l’histoire politique et culturelle que de l’histoire économique (...) nous ne devons pas (...) nous représenter une force extérieure – la ‘‘Révolution industrielle’’ – s’exerçant sur un matériau humain brut, indifférencié et indéfinissable, et produisant au bout du compte une ‘‘nouvelle race d’individus’’ ; les transformations des rapports de production et des conditions de travail propres à la Révolution industrielle furent imposées non pas à un matériau brut, mais à l’Anglais né libre – l’anglais né libre tel que Paine l’avait laissé ou tel que les méthodistes l’avaient façonné ; l’ouvrier (...) fut soumis à un endoctrinement religieux massif, et, en même temps, il inventa des traditions politiques ; la classe ouvrière se créa elle-même tout autant qu’on la créa » (Thompson, Edward, La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Seuil, 1988 (1963), p. 74).
(2) Jessenne, Jean-Pierre (éd.), Vers un ordre bourgeois ? Révolution française et changement social, Actes du symposium international tenu à Villeneuve d’Ascq les 12-14 janvier 2006, Rennes, PUR, 2007, p. 11.
(3) Soboul, Albert, Les sans-culottes parisiens en l’an II. Mouvement populaire et Gouvernement révolutionnaire, 2 juin 1793-9 thermidor an II, Paris, Clavreuil, 1958.
(4) « Pour les ouvriers, aucun des droits révolutionnaires n’était aussi important que la liberté de s’assembler (…) Les ouvriers de la France entière brandissent la Déclaration des droits de l’homme (de 1789) pour légitimer leurs actes » (Kaplan, Steven, La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001, p. 424 et 429). H. Burstin rejoint cette analyse : « (en 1791), le nouveau langage de la liberté constitue pour les travailleurs une incitation à s’organiser et, si nécessaire, à contester collectivement leurs employeurs pour négocier de meilleures conditions de travail, selon une pratique qui n’était pas nouvelle, mais qui jouissait désormais – du moins en théorie – d’une nouvelle légitimité ; (en 1792) la force acquise par le mouvement populaire au plan politique agissait sur les revendications économiques qu’il formulait, en particulier dans le monde du travail, où les travailleurs salariés exploitaient durant les négociations salariales leurs succès dans la révolution parisienne ; pour les populations les plus modestes en effet, le message d’égalité de la Déclaration des droits de l’homme était surtout destiné au cadre concret du monde du travail : c’est justement sur ce plan qu’elles brandissaient ces principes énoncés de manière abstraite et les retournaient en leur faveur » (Une révolution à l’œuvre. Le faubourg Saint-Marcel (1789-1794), Seyssel, Champ Vallon, 2005, p. 306 et 485).
(5) Voir plus bas l’étude du livret ouvrier.
(6) W. Sewell avait déjà souligné combien « la loi Le Chapelier avait dû représenter pour les compagnons une rupture brutale dans (leur) expérience révolutionnaire ; ils avaient cru comprendre jusqu’en juin 1791 que le nouvel ordre révolutionnaire tolérait, à défaut d’approuver, les associations qui procédaient à la refonte de leurs préoccupations de toujours comme l’assistance mutuelle, les salaires, les conditions de travail et la réglementation générale du métier dans de nouveaux moules révolutionnaires » (Gens de métier et révolutions. Le langage du travail de l’Ancien Régime à 1848, Paris, Aubier-Montaigne, 1983, p. 143).
(7) Kaplan S., La fin des corporations, op. cit., p. 581.
(8) Burstin, Haim, L’invention du sans-culotte. Regards sur le Paris révolutionnaire, Paris, O. Jacob, 2005, p. 91.
(9) Minard, Philippe, « Le métier sans institution : les lois d’Allarde-Le Chapelier de 1791 et leur impact au début du XIXe siècle », dans Kaplan, Steven, Minard, Philippe (éd.), La France, malade du corporatisme ? XVIIIe-XXe siècles, Paris, Belin, 2004, p. 86.
(10) Godineau, Dominique, Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française, Aix-en-Provence, Alinéa, 1988, p. 102-3.
(11) Alder, Ken, Engineering the Revolution : Arms and Enlightenment in France, 1763-1815, Princeton, PUP, 1997; Gross, Jean-Pierre, Égalitarisme jacobin et droits de l’homme, 1793-1794. La Grande famille et la Terreur, Paris, Arcantères, 2000 ; Woronoff, Denis, L’industrie sidérurgique en France pendant la Révolution et l’Empire, Paris, EHESS, 1984.
(12) Enseignant dans une ESPE, j’y suis particulièrement sensible. De même, la survie des corporations jusqu’au décret d’Allarde est souvent gommée.
(13) En 1749, le pouvoir royal interdit « à tous compagnons et ouvriers employés dans les fabriques et manufactures de notre royaume, de quelque espèce qu’elles soient, de les quitter pour aller travailler ailleurs sans en avoir obtenu un congé exprès et par écrit de leurs maîtres » et défend « à tous les compagnons et ouvriers de s’assembler en corps sous prétexte de confrairie ou autrement, de cabaler entre eux pour se placer les uns les autres chez des maîtres ou pour en sortir, ni d’empescher, de quelque manière que ce soit, les maîtres de choisir eux-mêmes leurs ouvriers soit françois ou étrangers ». L’édit de 1781 rappelle ces interdictions et ordonne « que lesdits ouvriers aient un livre ou cahier sur lequel seront portés successivement les différents certificats qui leur seront délivrés par les maîtres chez lesquels ils auront travaillés ».
(14) Hirsch, Jean-Pierre, Les deux rêves du Commerce. Entreprise et institution dans la région lilloise (1780-1860), Paris, EHESS, 1991, p. 353 et 355.
(15) Cottereau, Alain, « Sens du juste et usages du droit du travail : une évolution contrastée entre la France et la Grande-Bretagne au XIXe siècle », Revue d’histoire du XIXe siècle, 2006-2.
(16) Dewerpe, Alain, « En avoir ou pas. A propos du livret d’ouvrier dans la France du XIXe siècle », dans Stanziani, Alessandro (dir.), Le travail contraint en Asie et en Europe, XVIIe-XXe siècles, MSH, 2010, p. 239.
(17) Cottereau, Alain, « La désincorporation des métiers et leur transformation en ‘‘publics intermédiaires’’ : Lyon et Elbeuf, 1790-1815 », dans Kaplan S., Minard Ph. (éd.), La France, malade du corporatisme ?, op. cit., p 142.
(18) Cottereau, Alain, « Justice et injustice ordinaire sur les lieux de travail d’après les audiences prud’homales (1806-1866) », Le Mouvement social, 1987-4, p 51.
(19) Puis ces « quasi-législations locales » ont été oubliées. Il est intéressant de remarquer que les historiens les redécouvrent à l’heure où le droit national du travail est remis en cause.
(20) Guicheteau, Samuel, La Révolution des ouvriers nantais. Mutation économique, identité sociale et dynamique révolutionnaire (1740-1815), Rennes, PUR, 2008.
(21) L’hypothèse du rôle joué par les commissaires de police est avancée par D. Margairaz (« Entre conciliation, arbitrage et règlement judiciaire : le juge de paix face aux conflits du travail avant l’institution des prud’hommes », Revue d’histoire moderne et contemporaine, à paraître).