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«L'hédonisme est de retour»
Daniel Defert, sociologue, a fondé l'association Aides en 1984, qu'il a présidée ensuite jusqu'en 1991.
Vous n'aimez pas le mot «relapse»...
C'est un mot d'origine religieuse qui veut dire retombée. Comme si l'on retombait dans une hérésie. C'est un mot importé, surchargé du puritanisme américain, le type même de l'expression écran qui empêche de comprendre les comportements sexuels, et annule toute la complexité d'une relation. Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce la manifestation de la nostalgie d'une orthodoxie passée? En tout cas, cela empêche de voir la difficulté actuelle à contrôler les enjeux et de comprendre des pratiques aux causes multifactorielles.
Cela étant, il se passe bien quelque chose.
Il n'existe pas de relation dans laquelle on puisse tout contrôler. Il y a toujours un risque. Et il faut partir de là . Dans les années 80-90, ce qui a changé dans le milieu gay, c'est tout un cadre. Ce n'est pas seulement l'usage du préservatif, c'est un ensemble de modifications avec une baisse du nombre de partenaires, avec moins de pénétrations et plus de vie en couple. D'autres pratiques ont été aussi explorées. Et puis, il y a eu la remise en cause brutale de la culture hédoniste des années 70. Or, je constate que cette culture revient, y compris chez les hétérosexuels avec la multiplication du nombre de lieux échangistes. Le retour de cette culture hédoniste provoque évidemment une hausse de la prise de risques. Mais ce n'est pas là , apparemment, qu'on retrouve le plus de nouvelles contaminations.
Quel discours public tenir alors sur la sexualité à risque?
Je ne crois pas au discours de dénonciation, car il aboutit toujours à la stigmatisation et à l'isolement. Toute l'histoire de la lutte contre le sida a été conçue sur l'abandon du paradigme habituel dans les luttes contre les épidémies qui était d'isoler et de contrôler. Avec le sida, cela a été la première fois qu'il y a eu une réponse libérale, reposant sur les droits de l'homme. La prévention a reposé sur l'éducation des gens et non pas sur l'exclusion. On disait «le seul vaccin, c'est l'information». En même temps, la lutte contre le sida n'a pas cessé de faire émerger une nouvelle politique de la sexualité. Aujourd'hui comme hier on ne peut pas isoler la lutte contre le sida d'une politique de la sexualité. La sexualité est bien sûr de l'ordre du privé. Mais un privé qui a des conséquences publiques (que ce soit le mariage, les enfants, le Pacs, etc.). Toute sexualité est faite pour déboucher dans l'espace public. La prévention ne peut pas se faire sans une politique forte. Actuellement, il n'y a pas de cadrage politique fort sur ce qui reste encore en suspense. Il reste toujours une forte stigmatisation, une inégalité d'accès aux soins et à l'information. Mais c'est aussi un acte privé qui nécessite un travail de proximité, pour entendre ce que l'on n'entend pas. Ce sont aussi les comportements bisexuels, ce sont les difficultés sexuelles des femmes, africaines par exemple, qui ne maîtrisent pas la prévention. A chaque fois, il doit y avoir ce travail relationnel de verbalisation des difficultés.