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K. WIlber a apporté une contribution majeure à la compréhension des diverses formes de spiritualité avec la notion d’erreur pre-trans (ou pre-post si l’on préfère) qui consiste à confondre le dépassement d’un stade avec ce qui se passe avant ce stade, c’est à dire à confondre le pré-X avec le trans-X où X est une caractéristique donnée qui apparaît avec un stade particulier. Trans-X signifie qui apparait après X et qui en même temps inclut X comme un élément.
Pour prendre un exemple, le bébé passe par le quatre pattes, la marche et la course. Le stade de la course est un trans-marche car cela inclut et dépasse la marche: il est impossible de courir si l’on n’a pas déjà marché! Toute la notion de développement passe par cette idée d’évolution et de passage à une phase suivante qui transcende et inclut la phase précédente.
Cependant, dans certains domaines, cette distinction s’avère plus difficile et nombre de personnes ne voyant pas le dépassement de X confondent son dépassement et ce qui se passe avant, puisque tous les deux ne sont pas X. Un peu comme si l’on confondait la phase du quatre pattes et celle de la course puisque les deux ne sont pas de la marche. Cet exemple est juste donné pour illustrer la différence entre le pre (ce qui passe avant X et que ne connait pas X) et le trans (qui se passe après et inclut X comme un élément parmi d’autres). C’est une forme d’effet horizon: le pre-X ne comprend pas X et le rejette parce qu’il le considère comme non pertinent, en fait parce qu’il se situe, dans une perspective évolutionniste, au-delà de son mode de pensée. (bon, je vais pas me faire que des amis avec cet article, j’en suis conscient :-))
Dans le développement psychologique cette erreur peut facilement être confondue. Par exemple, si X est la phase normative ou conventionnelle (couleur Bleu dans SD), où la loi indique ce qui est bien ou mal, on peut confondre la liberté pré-normative, égo-centrique et impulsive (Rouge dans SD) avec des développements ultérieurs ou la norme sera confrontée et mise en discussion (par exemple le stade rationnel-individualiste, couleur Orange dans SD, qui remet en cause les dogmes en cherchant l’efficacité). Prenons le code de la route, par exemple et les limitations de vitesse. Cele ne revient pas au même de dire “je vais à la vitesse que je veux, et je vais pas me laisser emm… par ces limitations” (par exemple en disposant de systèmes de navigation GPS qui donnent l’emplacement de tous les radars afin d’aller à la vitesse maximum en dehors de ces zones à risque), que de dire “Je reconnais que les limitations de vitesse ont permis de diminuer le nombre d’accidents mortels, néanmoins, à tel ou tel endroit (en fonction aussi de l’heure et du trafic), il me semble que ces limitations sont abusives, car elle ne correspondent pas à un danger réel”. Dans le premier cas, on se situe dans un niveau pre-normatif (je fais ce que je veux) alors que dans le second il s’agit d’un niveau trans-normatif (je remets en cause, par des arguments, certaines normes).
Il en est de même de la raison et de la science. Avec les termes de la SD, la rationalité scientifique apparaît avec le courant rationnel-individualiste (Orange), qui pose des questions sur l’origine des choses, leur fonctionnement et qui cherche à donner une explication aux phénomènes qui soit indépendante des croyances de l’observateur. En cela, la raison s’oppose à la doxa, l’opinion, et d’une manière plus générale à toutes les superstitions qui sont supposées comme “vraies” tout simplement parce que leur auteur a envie d’y croire. Les croyances pré-rationnelles comprennent notamment tout ce qui ressort du monde des esprits, de la magie (l’influence à distance sans mécanisme, les lois de “similarités”, etc.), la présence des anges, les revenants, etc.. C’est le monde infantile animiste où l’on voit des esprits ou des “énergies” partout (cf. mon billet sur le new age et la science où j’essaye de donner une explication trans-rationnelle de l’énergie). Cela n’a rien à voir avec l’enseignement chrétien trans-rationnel donné par J.-Y. Leloup, ni aux enseignements bouddhistes, kabbalistes, soufis, etc.. Tous ces enseignements supposent une pratique, une intériorisation, un dépassement de son petit ego, là où les croyances pré-rationnelles voies des esprits (des petits ‘moi’ en fait) partout. En d’autres termes, le pré-rationnel voit le monde comme fondé sur des rapports magiques, sans chercher à réellement comprendre ce qui se passe derrière certains phénomènes qui sont pris comme tels (les “crop circles”, les “orbes” dans les appareils photos, les “ovnis”, l’influence des cristaux, etc..), alors que le trans-rationnel va revisiter tous ces phénomènes à la lumière d’un au delà de la raison standard. Si pour le courant rationnel tout ce qui touche à ces domaines relève purement et simplement de la superstition, le trans-rationnel va regarder la résonance qui existe entre ces phénomènes et sa propre psyché. Il ne s’agit plus de dire si cela existe dans la “réalité”, mais de voir en quoi je suis touché par cela, en quoi tout cela me plonge dans un autre état.
Prenons l’exemple des “orbes”, ces petite sphères lumineuses que l’on peut voir sur des photographies prises la nuit par des appareils numériques (photo ci-contre). Si vous tapez le mot “orbes” ou “orb” dans un moteur de recherche, vous verrez qu’un grand nombre de personnes disent qu’il s’agit là de la présence d’esprits ou d’énergies extraterrestres bienfaisantes qui se situent juste à cet endroit là et que la photographie révèle. Des explications scientifiques ont été proposées: il s’agirait finalement de réflexions des flash des appareils numériques bas de gammes (les orbs ne s’affichent pas sur des appareils haut de gamme, car le flash n’est pas aussi prêt de l’objectif) sur des particules de poussières en suspension. Un peu comme ces poussières en suspension qui, vues sous un certain angle dans la lumière du soleil matinal, donnent l’impression de petits points lumineux. Le débat pré-rationnel et rationnel se situe sur le plan de la réalité de ces “orbes”: poussières ou conscience? Pour les tenants des poussières, arguments à l’appui, ils montrent que les autres sont dans un joyeux délire. Et pour les tenants des poussières, les “rationnels” ne comprennent rien à rien, et ne savent pas voir ce qui est au delà de leur nez.. Dialogue de sourds. D’un point de vue trans-rationnel, on reconnaîtra à la fois la part scientifique et la part de merveilleux. On va se laisser imprégner par ces visions, et voir les orbes comme de la poésie, de la créativité du monde environnant qui tente de nous appeler vers le spirituel. On peut les contempler comme si il s’agissait de petites conscience lumineuses, comme on regarde un film en se laissant guider par ce qui est proposé, sans pour autant être dupe, ou comme on regarde un ciel étoilé en sachant que les étoiles sont des boules gazeuses, mais en même temps en les voyant comme des marques du divin dans le cosmos. Et on laisse résonner en nous ces formes, en les laissant agir intérieurement, en se laissant imprégné par les ressentis qui en émergent. On voit ici que l’on recontacte la magie du pré-rationnel sans remettre en cause le rationnel. On s’ouvre ainsi à de plus grandes perspectives où notre intériorité vient en résonance avec ce qui nous entoure, en intégrant les différents niveaux de la Spirale.
Qu’est ce qui permet de dire qu’un discours est trans-rationnel et non pré-rationnel? C’est que son discours n’est pas en contradiction avec la rationalité, mais qu’il le dépasse, qu’il en montre les failles tout en l’utilisant. Par exemple, la physique quantique, dépasse notre entendement de base (les particules sont soit des ondes soit des corpuscules, elles ont une masse et une vitesse et suivent une trajectoire) en proposant de nouvelles visions du monde (les particules sont à la fois des ondes et des corpuscules et on ne peut pas dire ce qui se passe entre deux mesures effectuées sur ces particules), mais elle ne remet pas en cause la rationalité (même si le New Age réutilise de manière pré-rationnelle la physique quantique en la mettant à toutes les sauces, en étant fasciné par le caractère magique de cette physique). Par contre si l’on dit qu’il y a des petits djinns à l’intérieur des ordinateurs qui s’amusent à nous les faire planter, on se situe dans la pré-rationalité car c’est en contradiction avec la rationalité (à moins que ce soit de l’humour bien entendu).
D’une manière générale, un discours pré-X nie totalement X et le rejette. Le pré-rationnel rejette la raison comme le pré-normatif rejette la loi. Alors qu’un discours trans-X inclut X sans le rejeter mais en l’intégrant dans une perspective plus vaste. Le trans-rationnel ne rejette pas la raison, mais il la comprend dans une perspective plus vaste, la conscience, qui inclut la raison, mais aussi l’intuition, l’émotion, le corps, les sensations, le vécu, le ressenti, l’expérience directe, etc. De même le trans-normatif ne remet pas en cause la loi, mais il l’intègre dans une conception plus large dans laquelle l’éthique est prédominante.
Cette confusion pre-trans (pre-trans fallacy) empoisonne toutes les discussions sur la spiritualité et comme le dit K. Wilber, l’une des premières choses à laquelle une authentique approche intégrale contribue c’est justement d’évacuer cette obscurité particulière.